Clair de manbo / Gary Victor. - La Roque d'Anthéron : Vents d'Ailleurs, 2007. - 216 p. ; 23 cm.
ISBN 978-2-911412-50-9
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Gary
Victor a participé
au Salon du Livre Insulaire d'Ouessant
en 2002 et en 2004.
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Dans
« Clair de manbo », publié initialement
à Port-au-Prince en 1990, Gary Victor dénonce
l'appétit de pouvoir et les dérives criminelles auxquelles s'exposent
sans retenue trop de candidats à un mandat politique. Hannibal
Sérafin n'est pas plus mauvais qu'un autre, pas meilleur non
plus : il souhaite mettre un terme à la dictature
duvaliériste, mais la perspective de devenir à son
tour Président Éternel
l'expose au cœur d'une lutte entre forces
ténébreuses et forces de la lumière. Or, en
Haïti comme ailleurs, l'efficacité milite en faveur d'une
alliance sans partage avec l'ombre.
Quand les proches d'Hannibal
Sérafin prennent la mesure du risque, un sinistre compte
à rebours est engagé. Pour contrer l'ambition sans borne du candidat et de ses associés
— au nombre desquels l'horrible et terrifiant Djo
Kokobe —, hommes et femmes de bonne volonté —
Madan Sorel, Sonson Pipirit, Lanjélus — croient pouvoir
compter sur la bienveillance des dieux, mais ceux-ci comme dans la
mythologie grecque font preuve d'une désespérante
indifférence et ne sont pas moins que les hommes assujettis aux
passions.
Le bonheur semble pourtant à portée de
main : certains des personnages mis en scène par Gary
Victor n'ont pas oublié Pointe-Sapotille, un coin de rêve ou vivait une communauté d'un millier d'âmes … où l'on pêchait les plus beaux poissons … où les vieillard et les enfants créaient des œuvres d'art d'une rare beauté … où les femmes, les plus belles
créatures de la côte, passaient leur temps à
cuisiner, à chanter des hymnes à Agwe et à
élever les enfants. Métaphore
d'Haïti telle qu'elle pourrait être sans Duvalier, sans
Hannibal Sérafin, sans la bêtise des hommes et sans
l'indifférence des dieux.
Charge virulente contre le
dévoiement de la politique, « Clair de
manbo » s'inscrit dans la plus haute tradition de la
littérature haïtienne et renoue brillamment avec la
pratique des audiences (lodyans),
comme avec le réalisme merveilleux.
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EXTRAIT |
Quand Madan Sorel regagna sa case sur le vèvè 1, elle chanta et pria durant des heures, espérant un signe de pardon d'Agwe 2. Le dieu se montra obstinément silencieux, rancunier comme à son habitude.
Madan Sorel méditait profondément, le visage
penché vers la partie du vèvè symbolisant les
forces négatives de la création quand l'une des
hounsi 3 vint lui annoncer l'arrivée de Sonson Pipirit, porteur d'un message urgent de Lanjélus. La manbo 4
se releva après avoir béni le vèvè, puis
elle alla accueillir Sonson Piprit dans la cour, sous une grande
tonnelle où l'on s'apprêtait à servir de la
nourriture aux hounsi. La nuit annonçait discrètement sa
venue. Les nombreuses plantes odorantes qui croissaient dans les
jardins parfumaient l'atmosphère. Une pluie fine arrosait le
couvert végétal. Quelques rares gouttes d'eau
franchissaient le touffu du feuillage.
— Lanjélus m'a chargé d'une
commission : le fils du Chòche a quitté les
collines. Il a demandé à voir Hannibal Sérafin,
dit Sonson Pipirit.
Le cœur de la manbo se
crispa. Les images d'un songe qu'elle avait eu la nuit
précédente lui revinrent à l'esprit. Djo Kokobe,
guéri de son infirmité, la poursuivait, armé d'une
machette dans chaque main. Elle cherchait à lui échapper
en escaladant une montagne dont le sommet se déplaçait
constamment. Elle aurait pu se transformer en loup-garou et s'envoler,
mais ses pouvoirs avaient disparu. Derrière elle, le fils du
Chòche ricanait, lui lançait des propos obscènes.
Cette course épuisante avait duré toute la nuit
jusqu'à ce que son bon ange mette fin à ce supplice en la
réveillant. C'était la première fois que les
forces diaboliques réussissaient à s'infiltrer dans ses
rêves. Durant des heures, elle n'avait pu se débarrasser
d'une poisseuse sensation de malaise. Après la colère
d'Agwe qui avait dévasté la côte, ce cauchemar
annonçait peut-être une autre catastrophe. La manbo se
souvint de Pointe-Sapotille, cette communauté qui avait disparu,
balayée par la fureur du dieu.
☐
pp. 149-150 1. | dessins
vaudous faits de figures géométriques, ayant la
faculté d'attirer les esprits, d'ouvrir les portes vers les
univers invisibles. | 2. | dieu de la mer. | 3. | prêtresse ou assistante du prêtre vaudou. | 4. | prêtresse vaudou. |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Clair de
Manbo », Port-au-Prince : Éd. Deschamps, 1990
| - « Sonson Pipirit, Profil d'un homme du peuple », Port-au-Prince : Éd. Deschamps, 1988
- « La
piste des sortilèges », Port-au-Prince :
Éd. Henri Deschamps, 1996 ; Châteauneuf-le-Rouge :
Vents d'Ailleurs, 2002
- « La
chorale de sang », Port-au-Prince : Éd.
Mémoire, 2000
- « Le
diable dans un thé à la citronelle »,
Port-au-Prince : Imprimeur II, 2000 ; La Roque d'Anthéron :
Vents d'Ailleurs, 2005
- « Le
cercle des époux fidèles », Port-au-Prince :
Imprimeur II, 2002
- « À
l'angle des rues parallèles », Châteauneuf-le-Rouge :
Vents d'Ailleurs, 2003 — Prix du Livre Insulaire
(cat. Fiction), Ouessant, 2003
- « Je
sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin »,
La Roque d'Anthéron : Vents d'Ailleurs, 2004 — Prix RFO, 2004
- « Les
cloches de La Brésilienne », La Roque d'Anthéron,
2006 — 23e Prix littéraire des Caraïbes, décerné par l'Association des écrivains de langue française
- « Le programmeur », in Nouvelles d'Haïti, textes choisis et présentés par Pierre Astier, Paris : Magellan & Cie (Miniatures), 2007
- « L'essayage », in Une journée haïtienne,
textes réunis et présentés par Thomas C. Spear,
Montréal : Mémoire d'encrier ; Paris :
Présence africaine, 2007
- « Banal oubli », La Roque d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2008
- « Saison de porcs », Montréal : Mémoire d'encrier, 2009
- « Le sang et la mer », La Roque d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2010
- « Maudite éducation », Paris : Philippe Rey, 2012
- « Quand le jour cède à la nuit », La Roque d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2012
| | Sur le site « île en île » : dossier Gary Victor |
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mise-à-jour : 30 décembre 2013 |
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