Gary Victor

Maudite éducation

Philippe Rey

Paris, 2012

bibliothèque insulaire

   
Haïti
parutions 2012
Maudite éducation / Gary Victor. - Paris : Philippe Rey, 2012. - 286 p. ; 19 cm.
ISBN 978-2-84876-213-5
Gary Victor a participé au Salon du Livre Insulaire d'Ouessant en 2002 et en 2004.
Roman d'apprentissage, comme le suggère le titre ? Maudite éducation relate le parcours de Carl Vausier confronté à la découverte de la famille, de la sexualité et de l'amour, d'une passion — la littérature — et d'un métier — le journalisme —, de la vie sociale et de la politique. Mais le roman ne se laisse pas enfermer dans une formule ; il est riche de strates habilement imbriquées et brasse une large diversité de tons : narration et poésie, réalisme et onirisme, fiction et chronique sociale, humour et charge politique. L'effet de miroitement qui naît de cette multiplicité de visées et de registres est rigoureusement contrôlé — c'est l'atout majeur d'un roman où Gary Victor met en résonance son projet littéraire et son parcours de vie.

Au cœur du roman un banal constat hante Carl Vausier : entre l'hôpital où est mort son père et le Palais national, la distance est dérisoire, trois cent trente-trois mètres ! Rien. Un monde. De cette mesure, où l'infime et l'infini semblent se fondre, naît l'énergie qui soutient la vie de Carl Vausier, qui soutient également son ambition littéraire, et qui l'empêche de sombrer quand le grand amour se dérobe puis succombe au terme d'abjectes et douloureuses péripéties où se reflète le désordre du temps.

note de lecture par Yves Chemla — Coopération Education Culture,
note de lecture par Fabien Mollon — Jeune Afrique, 27 septembre 2012.
EXTRAIT    Trois cent trente-trois mètres ! J'ai un début de vertige. Je me déplace tel un funambule sur une corde tendue au-dessus du vide. À trois cent trente-trois mètres du bureau du chef de l'État, des femmes accouchent à même le sol, des gens meurent par manque de soins les plus élémentaires pendant que ceux qui sont déjà morts ne peuvent se prétendre à l'abri des mauvaises surprises. La morgue empeste souvent, surtout que les employés n'hésitent pas à se mettre en grève pour des réclamations souvent justifiées, même si un être humain ne devrait jamais respirer pareille pestilence.

   Chaque fois que je me retrouve dans une impasse de ma vie, chaque fois que cette terre risque de m'engloutir dans ses mythes et ses impostures, je vais mesurer la distance entre les bâtiments de cet hôpital et le Palais national. Cela me ramène à la mémoire les circonstances de la mort de mon père. Cela ravive mon ressentiment pour ce pays. Pas pour ce pays qui m'a vu naître. Cette terre, elle n'y est pour rien. On l'a abreuvée de sang. Mais pour cette société de menteurs et de flibustiers qui se drapent depuis deux siècles dans des radotages stériles sur la fondation d'une nation, d'un État qui a condamné dès le départ des centaines de milliers d'êtres humains aux conditions de vie les plus abjectes.

   Je n'ai aucune fierté d'être Haïtien. Mais je voudrais bien me battre pour l'être, pour que mes enfants le soient aussi. C'est ce que je fais avec mes mots, les récits que je développe dans mes nouvelles, dans mes romans. Mais j'ai toujours l'impression que ma plume n'arrivera jamais à m'immerger complètement dans l'encre de cette réalité souillée pour la restituer telle qu'elle est. Toute souffrance racontée, toute souillure décrite, n'est qu'une tentative de représentation figée, tandis que la réalité qu'on veut saisir cavale à fond de train, sans dévier de la trajectoire que les croque-morts lui ont assignée.

pp. 208-210
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
→ Thierry Leclère, « King créole : portrait de Gary Victor », Télérama, n° 2953, 19 août 2006
Sur le site « île en île » : dossier Gary Victor

mise-à-jour : 10 mai 2017

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