Simone Schwarz-Bart

Pluie et vent sur Télumée Miracle

Ed. du Seuil

Paris, 1972
bibliothèque insulaire
   
des femmes et des îles

Guadeloupe

Pluie et vent sur Télumée Miracle / Simone Schwarz-Bart. - Paris : Seuil, 1972. - 248 p. ; 21 cm.
SIMONE SCHWARZ-BART : À Goyave, près de chez mes grands-parents, il y avait une femme d'âge, une sorte de sorcière, d'oracle. Je n'étais encore moi-même qu'un vieux petit bout de fillette, mais j'adorais me faufiler dans sa case pour l'écouter me narrer les anecdotes venues jusqu'à ses oreilles sur les petits travers des uns et des autres du village. Elle m'a initiée à la vie profonde de la Guadeloupe. En la transformant en l'héroïne de mon premier roman, je me suis emparée de ce temps-là, de cette mémoire que je transmettais à mon tour à d'autres. Télumée Miracle n'est pas simplement un hommage à une femme de Goyave, c'est aussi le symbole de toute une génération de femmes connues dans mon île, à qui je dois d'être antillaise, de me sentir comme je me sens. Télumée représente, pour moi, une sorte de permanence de l'être antillais et de ses valeurs …

“ Nous n'avons pas vu passer les jours ”, Paris : Grasset, 2019 — pp. 154-155
je me disais que ça devait bien exister, une manière d'accommoder la vie telle que les nègres la supportent, un peu, sans la sentir ainsi sur leurs épaules, à peser, peser jour après jour, heure par heure, seconde par seconde …

p. 51

Arrière-petite-fille de Minerve, femme chanceuse que l'abolition de l'esclavage avait libérée, Télumée raconte les étapes de sa propre vie, marquée par l'alternance de saisons bonnes — pluie — ou mauvaises — vent. Rude parcours, dans un petit pays ; or “ le pays dépend souvent du cœur de l'homme : il est minuscule si le cœur est petit, et immense si le cœur est grand ” (Incipit, p. 11).

Au long de son errance, Télumée mesure progressivement la survivance de l'esclavage dont les blessures peinent à cicatriser : “ je sentais que l'esclavage n'était pas un pays étranger, une région lointaine (…) tout cela s'était déroulé ici-même (…) peut-être dans l'air que je respirais ” (p. 62). Domination et profitation persistent, comme en témoigne encore l'horreur du travail de la canne ; et demeure surtout le sentiment de culpabilité des victimes du système, pesant comme une malédiction.

Mais comme celles qui ont fait le chemin avant elle, Télumée veut faire face et vivre debout. Passées les épreuves, ni amertume ni résignation n'obscurcissent le soir de sa vie : quand approche l'éclat étincelant de la mort, elle évoque le faste de l'incertitude humaine, et le panache (p. 248) de ceux qui ont supporté cette incertitude.
EXTRAIT    Le morne La Folie était habité par des nègres errants, disparates, rejetés des trente-deux communes de l'île et qui menaient là une existence exempte de toutes règles, sans souvenirs, étonnements, ni craintes. La plus proche boutique se trouvait à trois kilomètres et ne connaissant nul visage, nul sourire, l'endroit me semblait irréel, hanté : une sorte de pays d'esprits. Les gens du morne La Folie se dénommaient eux-mêmes la confrérie des Déplacés. Le souffle de la misère les avait lâchés là, sur cette terre ingrate, mais ils s'efforçaient de vivre comme tout le monde, de se faufiler tant bien que mal, entre éclair et orage, dans l'éternelle incertitude. Mais plus haut sur la montagne, enfoncées dans des bois profonds, vivaient quelques âmes franchement perdues auxquelles on avait donné ce nom : Égarés. Ces derniers ne plantaient pas, ils ne coupaient pas la canne, ils n'achetaient ni ne vendaient, leurs seules ressources étant quelques écrevisses, des pièces de gibier, des fruits sauvages qu'ils échangeaient à la boutique contre du rhum et du tabac, des allumettes. Ils n'aimaient pas l'argent, et si on leur glissait une pièce dans la main, ils la laissaient tomber à terre, l'air ennuyé. Ils avaient des visages impassibles, des yeux imprenables, puissants, immortels. Et une force étrange déferlait en moi à les voir, une douceur alanguissait mes os et sans savoir pourquoi, je me sentais pareille à eux, rejetée, irréductible.

pp. 186-187
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Pluie et vent sur Télumée Miracle », Paris : Le Livre de poche (Le Livre de poche, 4198), 1975
  • « Pluie et vent sur Télumée Miracle », Paris : Seuil (Points, 39), 1995
  • « The Bridge of Beyond » translated by Barbara Bray, London : Victor Gollancz, 1975 ; London : Heinemann, 1982
  • Simone et André Schwarz-Bart, « Un plat de porc aux bananes vertes », Paris : Seuil, 1967
  • André Schwarz-Bart, « La mulâtresse Solitude », Paris : Seuil, 1972
  • Simone Schwarz-Bart, « Ti-Jean l'Horizon », Paris : Seuil, 1979
  • Simone Schwarz-Bart, « Ton beau capitaine », Paris : Seuil, 1987
  • Simone Schwarz-Bart, « Hommage à la femme noire » avec la collaboration de André Schwarz-Bart (6 vol.), Paris : Ed. Consulaires, 1988-1989
  • Simone Schwarz-Bart, « Du fond des casseroles » (1989), in Pierre Astier (éd.), Nouvelles de Guadeloupe, Paris : Magellan ; Fort-de-France : Desnel, 2009
  • Simone et André Schwarz-Bart, « L'ancêtre en Solitude », Paris : Seuil, 2015
  • Simone et André Schwarz-Bart, « Adieu Bogota », Paris : Seuil, 2017
  • Simone Schwarz-Bart et Yann Plougastel, « Nous n'avons pas vu passer les jours », Paris : Grasset, 2019
  • Simone et André Schwarz-Bart, « Hommage à la femme noire ” nouv. éd. en 3 vol., Lamentin (Martinique) : Caraïbéditions, 2020-2022
  • Roger Toumson (dir.), « Pluie et vent sur Télumée Miracle : une rêverie encyclopédique », Paris : Ed. Caribéennes ; Pointe-à-Pitre : GEREC (Textes, études et documents, 2), 1979
  • Monique Bouchard, « Une lecture de Pluie et vent sur Télumée Miracle de Simone Schwarz-Bart », Schoelcher : Presses universitaires créoles (Annou li) ; Paris : L'Harmattan, 1990
  • Kathleen Gyssels, « La Guadeloupe, " cette île à mauvaise mentalité " : l'espace insulaire dans Pluie et vent sur Télumée Miracle et Ti Jean L'Horizon de Simone Schwarz-Bart » in Jean-Claude Marimoutou et Jean-Michel Racault (éd.), L'insularité, thématique et représentations, Paris : L'Harmattan, 1995
  • Kathleen Gyssels, « Filles de Solitude : Essai sur l'identité antillaise dans les [auto-]biographies fictives de Simone et André Schwarz-Bart », Paris : L'Harmattan (Critiques littéraires), 1996
  • Kathleen Gyssels, « Le folklore et la littérature orale créole dans l'œuvre de Simone Schwarz-Bart (Guadeloupe) », Bruxelles : Académie royale des sciences d'Outre-mer, 1997
  • Mariella Aïta, « Simone Schwarz-Bart dans la poétique du réel merveilleux : essai sur l'imaginaire antillais », Paris : L'Harmattan (Critiques littéraires), 2008
  • Kathleen Gyssels, « Marrane et marronne : la co-écriture réversible d'André et de Simone Schwarz-Bart », Amsterdam : Rodopi (Faux titre, 376), 2014
Sur le site « île en île » : dossier Simone Schwarz-Bart

mise-à-jour : 15 mars 2022
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