Popa Singer / René
Depestre. - Paris : Zulma, 2016. - 153 p. ;
19 cm.
ISBN 978-2-84304-765-7
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L'auteur
a raconté des aventures aujourd'hui lointaines et
révolues, mais qui firent jadis partie du tissu de sa vie.
Si
quelque lecteur venait à dire que ce livre est
“ autobiographique ”,
l'écrivain lui
répondrait : pour lui toute œuvre
sérieuse de
fiction est autobiographique, et par exemple, il est difficile de
concevoir une œuvre plus autobiographique que les Voyages de Gulliver.
☐ Thomas Wolfe,
cité en épigraphe |
Sous
le masque de Richard Denizan,
René
Depestre revient sur l'histoire du pays qu'il a
été
forcé de quitter à vingt ans. Le regard qu'il
porte sur
cette histoire tragique est tonique — empreint
d'humour et
d'amour, lucide, partagé entre espoir et colère.
L'espoir
naît de l'énergie de Popa Singer, la
mère de
Richard “ aux yeux couleur du temps des
îles ”, adepte du vaudou qui,
dans la transe,
convoque le réel-merveilleux
germano-haïtien.
La colère répond aux manœuvres du petit
Ubu des
Tropiques,
impitoyable gardien d'une race idéalisée qui
exploite
sans vergogne la superstition de ses concitoyens et sape les
solidarités et fraternités qui pourraient contrer
l'emprise de son pouvoir.
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MARIE-NOËLLE
RECOQUE DESFONTAINE : […]
Depestre
nous donne à voir la façon dont Duvalier dresse
les
Haïtiens les uns contre les autres, ruinant la
cohésion des
familles, faisant des uns les bourreaux des autres, inoculant dans les
esprits épouvante et soumission. L’auteur ne le
dit pas
mais le lecteur s’autorise à penser
qu’un des freins
à l’évolution sociale et politique du
pays doit
résider dans ce venin injecté au fil des
générations, un poison pourvoyeur de haine et
d’envie de vengeance.
[…]
☐ “ Popa Singer de
René Depestre ”, Montray kreyòl,
juin 2019 [en
ligne]
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EXTRAITS |
La
battue aux ouvrages “ suspects ”
devait durer
jusqu'aux premières lueurs de l'avant-jour. […]
Debout,
ou montés sur des chaises, les hommes aidaient le capitaine
et
le chef macoute à l'inspection des titres de la
bibliothèque.
Un caporal, après avoir examiné
avec répugnance un exemplaire de Stendhal, relié
plein
cuir, dit à haute voix :
— Le
Rouge et le Noir ? mon capitaine.
— De la substance explosive, caporal Milord,
à embarquer !
— La
Guerre et la Paix ? mon capitaine.
— Encore un bâton de dynamite, sergent
Grandgosier.
— Le
Zéro et l'Infini ? mon capitaine.
— Un
abrégé de mathématiques
générales.
Zéro pour la question, cancre de milicien !
— Le
cœur est un chasseur solitaire ? mon
capitaine.
— Tout
cœur armé d'un fusil de chasse tombe ipso facto
sous le
coup de la loi. À embarquer foutre-tonnerre !
— Le
Petit Chaperon rouge ? mon capitaine.
— Un
agitateur qui affiche des idées bolchéviques
à son
chapeau de paille. Au panier à salade !
— Le
Petit Prince ? mon capitaine.
— Un
mauvais sujet qui, dès le berceau, commence à
conspirer,
dit le chef milicien, à la place du capitaine.
— L'Adieu
aux armes ? mon capitaine.
— Délit
de port illégal d'armes de guerre. Avant l'adieu il y a eu
un
bonjour aux armes ! À embarquer !
— Le
Revolver à cheveux blancs ? mon
capitaine.
— Un browning déguisé en
vieillard reste un pistolet automatique !
— Les
Armes miraculeuses ? mon capitaine.
— Autre pièce à conviction
à saisir ! On a affaire à un trafic
d'armes !
— Pablo
Picasso ? mon capitaine.
— Nom de Dieu de putain de pic à casser les os. Embarquez-moi
ça, les yeux fermés !
Deux
heures durant, on écouta la litanie burlesque des
“ fils de putes d'ouvrages de guerre
sainte ”,
qu'il fallait “ mettre hors d'état de
nuire ”. Dans des circonstances moins lugubres on
eût
tous pouffé de rire. Seule Popa prit le risque, à
propos
du peintre espagnol, d'exprimer tout haut son sentiment.
— L'arme blanche de cet homme est un pinceau,
dit-elle. Pablo Picasso est le plus grand artiste du siècle.
En l'embarquant, capitaine,
vous profanez la beauté du monde !
☐ pp. 69-71 |
À
l'origine de l'état de possession propre à Diana
Fontoriol, alias Popa Singer von Hofmannstahl, la figure
emblématique de ce livre, il y a l'achat qu'elle effectue
d'une
machine à coudre Singer qu'elle effectue dans un magasin de
Jacmel. Le négociant allemand, pour échapper
à la
police de son pays, avait mis pour enseigne à son
établissement du bord de mer le nom du
célèbre
auteur autrichien Hugo von Hofmannstahl. Telles sont les circonstances
constitutives du loa à
identité rhizomatique qui, dans ce récit,
s'incarne dans les jours d'une mère haïtienne.
☐ Mode d'emploi, p. 153 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Etincelles »,
Port-au-Prince : Presses de l'Etat, 1945
- « Gerbe de sang »,
Port-au-Prince : Imprimerie de l'État,
1946 ;
« Etincelles (suivi de) Gerbe de
sang »,
Port-au-Prince : Presses nationales d'Haïti, 2005
- « Le mât de cocagne »,
Paris : Gallimard, 1979 ; Gallimard (Folio, 3081),
1998
- « Hadriana dans tous mes rêves »,
Paris : Gallimard (Collection blanche), 1988 ; Gallimard (Folio, 2182), 1990
- « Ainsi parle le fleuve noir »,
Grigny : Paroles d'aube, 1998
- « Le métier
à métisser »,
Paris : Stock, 1998
- « Encore une mer à
traverser », Paris : La Table
ronde, 2005
- « Cahier
d'un art de vivre : Journal de Cuba, 1964-1978 »,
Arles : Actes sud (Archives privées), 2020
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Sur le site « île en
île » : dossier René
Depestre |
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mise-à-jour : 7 décembre
2020 |
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