Les Immémoriaux /
Victor Segalen. - Paris : Plon, 1956. -
278 p.-[32] p. de pl. : ill.,
cartes ; 21 cm. - (Terre humaine).
ISBN 2-259-00226-9
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Un
très beau livre, au plan littéraire. Mais sur
celui de la
réalité polynésienne, il est faux de
bout en bout,
présentant une société parfaitement
imaginaire,
d'une utopie romantique échevelée.
☐ Jean Guiart, Ça plaît ou
ça ne plaît pas, III, 2010 |
Au début de la deuxième partie
des “ Immémoriaux ”
— “ Le Parler
Ancien ” — Terii le jeune Haere
Po et son maître Paofaï quittent les rives
de Tahiti, où viennent d'aborder
les premiers missionnaires britanniques, pour
effectuer un long périple insulaire sur
l'océan Pacifique :
“ Dans les vastes mers du Sud, les deux hommes
effectuent comme à rebours le parcours des
anciens maohi. Leur quête est longue et
infructueuse. A Raiatea, l'île sacrée de
toute la Polynésie, Tupua, le grand prêtre du
temple de Taputapuatea, meurt sans pouvoir
livrer ses secrets. A Havaï-i (Samoa),
l'île dite des origines, un cyclone les
empêche de débarquer. A l'île de
Pâques, enfin, où Paofaï se rend
seul, les tablettes sculptées, les Rongo-Rongo, se
révèlent impuissantes à rivaliser
avec les livres des
missionnaires. ”
☐ Jean
Scemla,
« Les
Immémoriaux de Victor Segalen »,
p. 8
Ainsi résumé,
le “ voyage de Térii ”
semble faire écho à celui de Saint
Brendan : l'abbé réussit
où Térii échoue, mais tous deux ont
pris la mer d'un même élan, pour s'y heurter
à de semblables péripéties.
Victor Segalen s'appuyait sur sa
propre connaissance de la Polynésie et sur
une documentation puisée aux meilleures sources de
l'époque. Pourtant son texte ne cesse de renvoyer
à l'Europe. Comment, par exemple, ne pas
penser à Rimbaud aux premières lignes de la
deuxième partie des
“ Immémoriaux ” ?
Egale tension vers un ailleurs masquant mal, dans les
deux cas, l'attente d'un retour gratifiant :
LES
IMMÉMORIAUX
Les hommes
qui pagaient durement sur les chemins de la mer-extérieure,
et s'en vont si loin qu'ils changent de ciel, figurent pour ceux qui
restent, des sortes de génies-errants. On les nomme avec un
respect durant les longues nuits de veille, pendant que fume en
éclairant un peu, l'huile de nono. Si bien qu'au
retour — s'il leur échoit de
revenir — les Voyageurs obtiennent sans
conteste un double profit :
l'hommage de nombreux fétii curieux, et tant
d'épouses qu'on peut désirer. Le grand
départ, l'en-allée surtout hasardeuse, la revenue
après un long temps sans mesure, voilà qui hausse
le manant à l'égal du
haèré-po, le porte-idoles au rang de
l'arioï septième, et l'arioï à
toucher le dieu. |
UNE SAISON
EN ENFERJ'attends
Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute
éternité. Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le
soir. Ma journée est faite ; je quitte l'Europe.
L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus
me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout ;
boire des liqueurs fortes comme du métal
bouillant, — comme faisaient ces chers
ancêtres autour des feux. Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'œil
furieux : sur mon masque on me jugera d'une race forte.
J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes
soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je
serai mêlé aux affaires politiques.
Sauvé. |
Tentative de recréation d'un
temps fort du destin collectif des Polynésiens, l'en-allée
de Térii pourrait se lire comme le chapitre
récurrent d'une quête — très
européenne ? — du paradis perdu …
Après Tahiti, l'errance de Segalen s'est poursuivie en
Chine, avant l'ultime échouage dans la forêt du
Huelgoat — terme du
récit de son voyage de jeunesse en Bretagne (A Dreuz an Arvor)
où étaient relevées,
déjà, les mutilations
et les
plaies accusant
la sénilité
d'un très vieux peuple.
Time is come round
And where I did begin there shall I end.
☐
Julius
Caesar (V-III)
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RICCARDO
PINERI : […]
Les
Immémoriaux légitiment la
prétention de chaque culture d'ignorer la culture de
l'autre, la culture véritable en tant que rapport
à l'autre. Dans sa tentative de résurrection des
antiquités polynésiennes, Segalen reprend le
langage soutenu que Flaubert avait déjà
utilisé dans Salammbô,
paru en 1862. Les
Immémoriaux tropicalisent Salammbô,
le déplaçant de Carthage à Tahiti. Le
langage épique est une traduction pour Segalen du
“ parler originel ”, qui assure le lien entre les
hommes, les choses et les dieux. […] Il y a chez Segalen la
conception de la perméabilité entre la parole des
origines et les choses, entre les récits interminables et la
réalité, un érotisme
intégral du langage.
[…]
L'inflation des mots composés, les anaphores, les hyperboles
qui amplifient le réel, créent un langage non pas
de la description, mais de l'évocation. Le langage des Immémoriaux
se fonde sur une ontologie animiste où chaque mot est une
réalité vivante, remplie de sacré. Les
sources de Segalen, avec Flaubert, sont les récits de voyage
et de découverte du XVIIIe suropéen, les Polysian Researches de
William Ellis, les Voyages
aux îles du Grand Océan de
Moerenhout, Max Radiguet, Pierre Loti. La religion des livres s'oppose
à la religion du Livre, il applique aux
antiquités polynésiennes les
procédés du roman moderne. Le “ parler
originel ”, fondé sur une rhétorique de
l'amplification généralisée, entend
assurer la maîtrise du monde […].
☐
“ Le mirage de
l'origine : Segalen lecteur de Gauguin ”, L'Atelier du roman | 104 | mars
2021 | pp.
93-94
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Max
Anély [Victor Segalen], « Les
Immémoriaux », Paris : Mercure
de France, 1907
- Victor
Segalen, « Les
Immémoriaux », Paris : Georges
Crès, 1921
- Victor
Segalen, « Les
Immémoriaux » pointes sèches
de Jacques Boullaire, Paris : Les Amis de Victor Segalen, 1948
- Victor
Segalen, « Les
Immémoriaux » éd. par Marie
Dollé et Christian Doumet, Paris : Librairie
générale française (Livre de poche,
16057), 2001
- Victor
Segalen, « Les
Immémoriaux » ill. de Jacques Boullaire,
préface de Riccardo Pineri, Papeete : 'Api Tahiti,
2019
|
- Victor
Segalen, « Os imemoriais »
traduçao de Carmen Gonzalez, Lisboa : Estampa, 1971
- Victor
Segalen, « Gli immemoriali » a
cura di Sergio Sacchi, Roma : Lestoille, 1980
- Victor
Segalen, « Le parole perdute »
traduzione di Cristina Brambilla, Milano : Jaca book, 1982
- Victor
Segalen, « Die Unvordenklichen »
übertr. von
Erika Tophoven-Schöningh, Frankfurt am Main : Insel
Verlag,
1986
- Victor
Segalen, « A lapse of memory »
translated and with an introduction by Rosemary Arnoux,
Brisbane : Boombana publications, 1995
- Victor
Segalen, « Le isole dei senza
memoria » traduzione di Michela Baldini,
Roma : Meltemi, 1999
|
- Victor
Segalen, « Journal des
îles », Papeete : Les
éd. du Pacifique, 1978
- Victor Segalen, « Œuvres
complètes » vol. 1,
Paris : Robert Laffont (Bouquins), 1995
- Victor Segalen, « Essay on exoticism, an
aesthetics of diversity », Durham (North
Carolina) : Duke university press, 2002
- Victor Segalen, « Correspondance » éd. présentée par Henry Bouillier, Paris : Fayard, 2004
- Victor Segalen,
« Premiers
écrits sur
l'art (Gauguin, Moreau, sculpture) - Œuvres
critiques, vol. 2 » textes
établis par Colette Camelin et Carla van den Bergh,
Paris : Honoré
Champion (Textes de
littérature moderne et contemporaine, 135),
2011
- Victor
Segalen, « Essai sur l'exotisme, une esthétique du
divers » éd. par Valérie Bucheli,
Genève : Droz (Histoire des idées et critique
littéraire, 514), 2021
- Victor
Segalen, « Le Maître-du-Jouir (suivi) de Gauguin dans
son dernier décor » éd. par Colette Camelin et
Carla van den Bergh, Geffosses : éditions 2,3 choses, 2022
|
- Mauricette
Berne (dir.), « Victor
Segalen, voyageur et visionnaire »,
Paris : Éd. de la Bibliothèque
Nationale, 1999
- Roger
Boulay et Patrick Absalon (dir.), « Rencontres en
Polynésie : Victor Segalen et
l'exotisme »,
Paris : Somogy, 2011
- Colette Camelin (éd.),
« Exotisme
et altérité : Segalen et la
Polynésie », Paris :
Honoré Champion (Cahiers Victor Segalen, 2), 2015
- Jean-Luc Coatalem, « Mes pas vont ailleurs »,
Paris : Stock, 2017
- Marie Dollé et Christian Doumet (dir.),
« Victor
Segalen », Paris : L'Herne
(Cahiers de l'Herne, 71), 1998
- Christian Doumet, « Victor Segalen », Paris : Arléa, 2022
- Etienne Germe, « Segalen, l'écriture,
le nom : Architecture d'un secret »,
Saint-Denis : Presses universitaires de Vincennes, 2001
- Jean-Jo Scemla, « Les
Immémoriaux de
Victor Segalen »,
Papeete : Haere po no Tahiti, 1986
- Kenneth
White, « Les Finisterres de l'esprit :
Rimbaud, Segalen
et moi-même » éd. revue et
augmentée,
Paris : Isolato, 2007
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mise-à-jour : 3 novembre 2022 |
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ASSOCIATION
SEGALEN DE BREST
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& illustrer l’héritage et
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