Voyage
autour du monde : la première
expéditione maritime
russe autour du monde à bord de la Nadiejeda et la Neva,
1803-1806 / Adam von Krusenstern ; récit
présenté et annoté par Marc
Delpech ; texte
établi et iconographie choisie par Marc Delpech et
Éric
Poix. - Besançon : La Lanterne magique, 2012. -
477 p. : ill. ; 23 cm.
ISBN
978-2-916180-14-4
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Conduite
sous la responsabilité d'un marin aux indéniables
qualités humaines et nautiques, la première
expédition russe autour du monde aurait pu
connaître un
cours harmonieux. Mais la présence à bord d'une
mission
diplomatique dirigée par un haut fonctionnaire
— courtisan cupide et ambitieux à
l'extrême — dédouble les
pôles
d'autorité et de responsabilité au point de
compromettre
le bon accomplissement des différentes missions et la
sécurité des équipages.
L'escale
aux Marquises est, à cet égard,
révélatrice. Les tensions culminent, une
mutinerie
paraît inévitable. Le recueil d'informations est
de ce
fait largement compromis, ce qui pourrait expliquer les contradictions
manifestes dans le récit de Krusenstern qui,
après avoir
longuement et minutieusement relevé les qualités
des
Marquisiens, conclut abruptement sur une évocation sans
indulgence de certains usages — en particulier
l'anthropophagie.
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NOTE
DE L'ÉDITEUR :
En Russie, ce voyage marque le début d'une nouvelle
orientation
politique de l'Empire. Jusqu'ici occupée à
explorer et
conquérir l'immense territoire de la Sibérie, la
Russie
était une puissance avant tout terrestre. Krusenstern lui
ouvre
les mers du Sud et les richesses de l'Asie, et en fait une puissance
maritime de première grandeur. Mais c'est surtout dans le
domaine des sciences que ce voyage fait date. En effet, si les grands
voyages de découvertes ont atteint leur apogée
avec James
Cook, La Pérouse, Bougainville, Anson, Vancouver etc., que
reste-t-il aux nouveaux venus pour se faire un nom. Il semble que
Krusenstern se rêvait en Cook ou La Pérouse.
Jamais
pendant le périple il n'a perdu de vue ce qui (…)
constitue le but principal de son expédition :
découvrir de nouvelles terres, vérifier les
données des anciens. Les observations et les objets
rapportés du séjour à Nuku-Hiva sont
d'une valeur
exceptionnelle et constituent une source inépuisable pour la
connaissance ethnologique et historique de la culture marquisienne.
L'Atlas de son voyage, qu'il publiera à son retour, restera
pendant des décennies un modèle pour les marins
du monde
entier qui en utiliseront les cartes et relevés, les plus
fiables de l'époque.
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EXTRAIT
Je
terminerai ce que j'ai à dire sur les
mœurs et les usages des Noukahiviens par quelques remarques
sur
leur caractère. Je dois d'abord avouer que si nous
n'eussions
pas rencontré dans l'île l'Anglais Roberts
[Robarts] et le
Français Cabri, nous eussions emporté de ces
insulaires
l'opinion la plus favorable. Nous n'avons éprouvé
de leur
part que d'excellents procédés : ils se
sont
toujours conduits avec la plus grande honnêteté
dans leur
commerce d'échange avec nous. Ils commençaient
toujours
par livrer leurs cocos avant de recevoir notre fer. Si nous avions
besoin de bois ou d'eau, ils étaient toujours
prêts
à nous aider. Nous n'avons eu que très rarement
à
nous plaindre de vol, vice si commun et si répandu dans
toutes
les îles de cet océan. Toujours gais et contents,
la
bonté semblait peinte sur leur figure. Pendant les dix jours
que
nous avons passés avec eux, nous ne fûmes jamais
obligés de tirer un coup de fusil chargé
à balle.
Peut-être faut-il attribuer leur conduite paisible
à la
crainte de nos armes et à l'espoir d'une
récompense. Mais
pourquoi chercher des motifs ignobles à des actions
auxquelles
nous ne pouvions qu'applaudir chez des hommes qui connaissaient
si peu les Européens, des hommes qui,
d'après les
idées de quelques philosophes, ne doivent point encore
connaître la corruption.
On
trouvera sans doute étrange qu'après avoir
apporté
d'Europe les préjugés les plus favorables aux
insulaires
du Grand Océan, qu'après avoir eu la meilleure
opinion
des Noukahiviens pendant les premiers jours de ma relâche
chez
eux, je finisse par en faire une peinture si désavantageuse.
Mais la surprise cessera, si l'on veut bien peser avec
impartialité les raisons suivantes.
Les
deux Européens que nous avons trouvés
à Noukahiva,
et qui avaient vécu plusieurs années dans cette
île, se sont accordés à dire que les
habitants sont
dépravés, barbares, et sans excepter
même les
femmes, cannibales dans toute l'étendue du terme ;
que leur
air de gaietée et de bonté qui nous a tant
trompés
ne leur est pas naturel ; que la crainte de nos armes ou
l'espérance du gain les avaient seules
empêché de
donner libre cours à leurs passions féroces.
☐
pp. 151-152
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W.
G. Tilesius von Tilenau
(gravure Egor Skotnikov)
Un Marquisien tatoué portant une massue
Krusenstern, Voyage
… (Atlas, pl. 8)
reproduit p. 156 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE |
Les
éditeurs proposent, en annexe au Voyage, une riche
bibliographie (pp. 475-477) où l'on trouvera, parmi
d'autres, les références ci-dessous.
|
- « Voyage
autour du monde, fait dans les années 1803, 1804, 1805 et
1806
(…) » traduit de l'aveu et avec des
additions de
l'auteur (2 volumes et un atlas), Paris : Gide, 1821
|
- Georg
Heinrich von Langsdorff, « Voyages and travels in
various
parts of the world, during the years 1803, 1804, 1805, 1806, and
1807 » (2 vol.), London : Henry Colburn,
1813
- Urey
Lisiansky, « A voyage round the world, in the years
1803, 4,
5, & 6, performed, by order of his imperial majesty
Alexander
the first, emperor of Russia, in the ship Neva »,
London : John Booth, 1814
- Hermann
Ludwig von Löwenstern,
« The first Russian voyage around the
world : the
journal of Hermann Ludwig von Löwenstern, 1803-1806
»
translated by Victoria Joan Moessner, Fairbanks : University
of
Alaska press, 2003
|
- Georges
Adassovsky (éd.), « Nuku Hiva en 1804,
récit du
hiéro-moine
Gédéon », Sté des
études océaniennes (Papeete), Bulletin 273-274,
Janvier-Juin 1997
- François
Carré, « La découverte
d'îles tropicales
de l'océan Pacifique par les Russes entre 1800 et
1850 » in Olivier Sevin, Jean-Louis
Chaléard et
Dominique Guillaud (éd.), Comme un parfum
d'îles, florilège offert à Christian
Huetz de Lemps, Paris : Presses de
l'Université Paris-Sorbonne, 2010
- Elena Govor, « Twelve days at Nuku
Hiva : Russian encounters and mutiny in the South Pacific »,
Honolulu : University of Hawai'i press, 2010
- Christophe
Granger, « Joseph
Kabris, ou les possibilités d'une
vie, 1780-1822 », Paris :
Anamosa, 2020
- Edward
Robarts, « The Marquesan journal of
Edward Robarts, 1797-1824 » ed. with an
introduction by Greg Dening, Canberra : Australian national
university press (Pacific
history series, 6),
1974 ; « Journal marquisien,
1798-1806 » trad. par Jacques Iakopo Pelleau,
Papeete : Haere pō,
2018
- Robert Suggs, « Cabri et
Tolstoï, de la baie de Taiohae à celle
d'Avatscha », Confluence — Revue
océanique d'expression française, 2,
2009
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mise-à-jour : 27
avril 2021 |
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