Que
s'est-il vraiment passé sur le Bounty ? / Bengt
Danielsson ; trad. française de Henri Simonet
(1985),
reprise et complétée par Henri Theureau
(2013) ;
vignettes de Peter Heyman ; couverture d'Andreas Dettloff. -
Papeete : Haere po, 2013. - 204 p. :
ill. ;
24 cm.
ISBN
979-10-90158-11-5
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Le
présent ouvrage (…) aurait dû
s'intituler Histoire
Complète et Authentique de Tout ce qui Arriva à
Bord du
Bounty pendant son Voyage aux Mers du Sud, de 1787 à 1789,
avec
un Compte-Rendu de ce qu'il Advint des Protagonistes du Drame
après la Mutinerie. Hélas,
mon éditeur, d'ordinaire aimable et accommodant, s'est
montré impitoyable : il a exigé un titre
un peu plus
court.
☐ Bengt
Danielsson, Introduction,
p. 6 |
Publié
en Suède puis en Angleterre en 1962, le récit de
Bengt
Danielsson n'a pas été publié en
français
du vivant de l'auteur. La présente traduction,
engagée
par Henri Simonet, reprise et complétée par Henri
Theureau, paraît donc un peu plus de cinquante ans
après
l'original.
L'aventure du Bounty a
suscité une profusion
rarement égalée de publications (et de films), et
l'on
pourrait s'interroger sur l'opportunité de proposer ce
nouveau
regard aux lecteurs francophones. C'est en l'occurrence la
qualité du témoin qui doit être mise en
lumière ; Bengt Danielsson s'était
fixé des
objectifs formels rigoureux : établir un
compte-rendu
clair, précis et aussi objectif que possible de faits qui,
par
leur caractère exceptionnel, se prêtaient
facilement
à la dramatisation, à l'emphase, au
travestissement
— matière rêvée pour
tout romancier en
panne d'inspiration.
C'est donc
avec le souci constant de se
tenir au plus près des faits (et des documents
d'époque
qui en rendent compte) que l'auteur a construit son récit.
Le
découpage obéit aux seules
nécessités d'une
action complexe : le projet (ch. 1), le voyage
à
Tahiti (ch. 2), la récolte d'arbres à
pain
(ch. 3), le départ de Tahiti (ch. 4), la mutinerie
(ch. 5), les mutins à la recherche d'une terre
d'accueil
(ch. 6), la navigation de Bligh vers Timor (ch. 7),
le sort
des matelots restés à Tahiti (ch. 8), le
procès des mutins ou présumés tels
(ch. 9),
la vie à Pitcairn (ch. 10).
Au fil de
l'exercice,
Danielsson nuance le portrait à charge trop souvent instruit
à l'encontre de William Bligh, mais sans cacher
l'intempérance verbale
— grossièreté
souvent blessante — de ce dernier. Il se montre
convaincu
que la mutinerie n'a pas été
préméditée ; elle se serait
jouée en
quelques heures entre deux factions improvisées dans une
brutale
éruption d'émotions opposant des opprimés
à une aristocratie
privilégiée et toute-puissante :
“ la mutinerie pourrait fort bien
s'interpréter comme
un épisode de la lutte des classes ”
(p. 93).
Il
n'est pas superflu, enfin, de rappeler que Bengt Danielsson vivait en
Polynésie, connaissait intimement les lieux où il
avait
par ailleurs navigué
— expériences qui n'ont pas
manqué d'enrichir son évaluation des
circonstances de
l'aventure.
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EXTRAIT |
Christian n'aurait (…) jamais pu
réussir si, en
plus de la cause constituée par son initiative et ses actes,
il
n'avait bénéficié du ressentiment
général qui couvait à bord.
L'équipage
avait été particulièrement
indigné de la
punition collective infligée le 27 avril par le capitaine,
à la suite de l'absurde querelle des noix de coco. Aussi
incongru que cela puisse sembler, nous avons de bonnes raisons de
penser que ce petit incident fut en lui-même un facteur
important
dans le déclenchement de la mutinerie.
Pour
conclure, n'oublions-pas que ceci se passait en 1789, et qu'une suite
d'événements similaires, à une bien
plus grande
échelle, allait bientôt se dérouler
ailleurs. Il
pourrait donc être intéressant de replacer la
mutinerie
dans cette perspective sociale et historique. On observera ainsi que
chacun des matelots qui avaient les corvées les plus dures
et
les plus dangereuses à bord prit part à la
mutinerie ; qu'en revanche, ceux qui restèrent
fidèles à leur capitaine et donc à la
Couronne
étaient presque tous à des postes
d'autorité (les
seules exceptions notables parmi les mutins étant Christian
et
Young).
Ainsi
donc la mutinerie pourrait fort bien s'interpréter comme un
épisode de la lutte des classes : une
révolte des
opprimés, des oubliés, des démunis,
des
sans-logis, bref, des matelots contre une aristocratie
privilégiée et toute-puissante, dont le premier
représentant à leurs yeux était le
capitaine
Bligh. Et l'on peut avancer l'hypothèse que si le leader de
la
révolte n'avait été lui-même
un gentleman,
c'est-à-dire un aristocrate, il est plus que probable que la
haine latente qui couvait contre les officiers parmi la classe
méprisée des matelots aurait en cette occasion
dégénéré en massacre
sanglant plutôt
que de se résoudre en cette étonnante mutinerie,
qui se
déroula dans un calme relatif et même avec une
certaine
courtoisie.
☐ Ch. 5,
La
mutinerie, p. 93 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Med
Bounty till Söderhavet »,
Stockholm : Saxon & Lindström, 1962
- « What
happened on the Bounty ? »
London : George Allen & Unwin, 1962
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- William
Bligh, « Rescapés
du Bounty,
journal de bord » (1790), La
Rochelle : La Découvrance, 2007
- Dominique Le
Brun (éd.), « La
vérité sur la Bounty :
les mutins témoignent », Paris :
Omnibus, 2015
- Donald A.
Maxton, « The
mutiny on H.M.S. Bounty :
a guide to nonfiction, fiction, poetry, films, articles, and music »,
Jefferson (North Carolina) : McFarland, 2008
- Robert
Merle, « L'île »,
Paris : Gallimard (Folio, 583), 1994
- Rowan
Metcalfe, « Passage
de Vénus », Papeete :
Au Vent des îles (Littératures du Pacifique), 2006
- James
Morrison, « Journal
de James Morrison, second maître à bord de la Bounty »,
Paris : Société des
Océanistes, 1966 ;
Rennes : Ed. Ouest-France (Bibliothèque de la mer
E.M.O.M.), 2002
- Anne
Salmond, « Bligh :
William Bligh in the South
seas », Berkeley : University of
California press, 2011
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mise-à-jour : 17
juin 2015 |
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