Récit
de l'extraordinaire et affligeant naufrage du baleinier Essex / Owen
Chase ; traduit de l'américain par Xavier Bachelot.
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Paris : Robert Laffont, 2015. - 157 p. ;
cartes ;
18 cm.
ISBN
978-2-221-19184-2
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Un matelot a lu ce petit livre,
l'a mâché longtemps, l'a
digéré aux sucs de ses douleurs et de ses
obsessions,
puis, empruntant les chemins de la poésie, au terme d'une
lutte
sourde avec les idées, les visions et les mots, l'a
recraché sous la forme d'un des plus grands mythes de la
littérature.
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Xavier
Bachelot, Le
récit qui enfanta Moby Dick, p. 157 |
Le 20 novembre 1820, l'Essex,
baleinier de Nantucket en pêche dans l'ouest des Galapagos,
est
attaqué à deux reprises par un cachalot et sombre
quelques heures plus tard. Réfugié sur trois
baleinières, l'équipage entreprend alors une
longue fuite
à travers l'océan Pacifique dans une tentative
désespérée pour atteindre les
côtes
d'Amérique du Sud. Le 20 décembre,
l'état de
santé et le moral des survivants sont au plus bas ;
certains ont commencé à perdre espoir. Mais au
lever du
jour, quand tous sont assis démoralisés,
silencieux et abattus, un des matelots
aperçoit une terre.
L'île 1
déserte qui se présente semble parée
de toutes les
vertus ; chacun espère y trouver,
sécurité,
repos, et surtout de l'eau et de la nourriture. Mais l'île ne
se
révélera pas aussi accueillante
qu'espéré : l'eau en particulier y est
rare
— après plusieurs jours de recherche une
maigre
source sera repérée sur la grève,
recouverte par
la mer à marée haute et découverte
à
marée basse. De l'avis de la majorité des
rescapés
les ressources sont insuffisantes pour un établissement
durable
dans l'attente d'un hypothétique secours ; seuls
trois membres
de l'équipage décident de profiter de cet asile
spartiate 2,
les autres reprennent la mer après une semaine de
répit.
La
suite de cette navigation est cauchemardesque ; elle
s'achève en février 1821 quand les survivants de
deux des
baleinières
— séparées depuis le 12
janvier — sont recueillis, les uns par un navire de
commerce
britannique, et les autres par un baleinier américain. Tous
sont
débarqués peu après à
Valparaiso avant de
regagner Nantucket.
Ils étaient vingt
après
l'attaque du cachalot. Trois sont restés sur
l'île. Des
dix-sept qui ont repris la mer, cinq seulement ont
survécu : ils le doivent à leurs
aptitudes
physiques, à leur détermination et à
un
exceptionnel ensemble de qualités ; mais ils ont
été dans l'obligation de manger leurs morts et,
dans un
cas, de sacrifier l'un des leurs pour laisser une chance aux autres.
1. |
Les
naufragés croient aborder sur l'île Ducie ; ils
sont en
fait sur l'île Henderson qui se trouve à 200
kilomètres environ dans l'est de Pitcairn. Aujourd'hui,
faute
d'eau potable, l'île est toujours inhabitée mais
en raison
d'une confluence de courants c'est un des lieux les plus
pollués
par les déchets plastiques de tout l'océan
Pacifique
— source Wikipédia. |
2. |
Ils survivront tous. |
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EXTRAIT |
Aux
environs de sept heures, alors que nous étions assis dans
nos
canots, démoralisés, silencieux et abattus, un de
nos
compagnons, soudain, a hurlé :
« Terre ! »
En
un instant, nous étions tous debout, comme
électrisés ; nous avons
dirigé nos regards
sous le vent, et elle était effectivement là,
cette
île, divine vision, aussi nette et palpable
qu'espéré.
Un
élan nouveau et extraordinaire nous a alors
animés. Nous
nous sommes défaits de la léthargie qui
paralysait nos
sens et nous avons cru renaître. Un ou deux de mes compagnons
— ceux dont les esprits à la
dérive et les
corps épuisés avaient fini par conduire
à une
indifférence totale à leur propre
sort — ont
manifesté à ce moment-là, avec un
empressement
surprenant, empreint de gravité, leur souhait de gagner sans
délai cette côte.
Nous
avons aperçu d'abord une longue plage blanche qui
s'étalait devant nos yeux pleins d'envie, tel un paradis
délicieux. Les autres embarcations l'ont
découverte au
même instant : nous avons alors explosé
de joie et
nous nous sommes congratulés. Ce que nos cœurs ont
ressenti à cette occasion dépasse l'entendement.
L'espoir, la peur, la gratitude, la surprise et l'allégresse
se
sont succédé dans nos esprits et ont
démultiplié nos forces.
Nous
nous sommes précipités vers la plage ;
à onze
heures, nous étions à moins d'un quart de mille
de la
côte. Il s'agissait, selon toute apparence, d'une
île
d'environ dix kilomètres de long et cinq de large, avec un
rivage très haut et très accidenté,
cerné
par les rochers. Les versants des collines étaient nus, mais
les
sommets semblaient verts et frais, du fait de la
végétation. L'examen de nos manuels de navigation
nous a
permis de conclure qu'il s'agissait de l'île Ducie,
située
à 24° 48' de latitude sud et à
124° 40'
de longitude ouest.
☐ pp. 93-95 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Narrative
of the most extraordinary and distressing shipwreck of the whale-ship Essex, of
Nantucket … », New
York : W.B. Gilley, 1821
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- Herman
Melville, « Moby-Dick
or, The whale » ill. by Rockwell Kent, New
York : The Modern library, 2000
- Herman
Melville, « Moby
Dick » trad. et préfacé par
Armel Guerne, Paris : Phébus, 2005
- Herman Melville, « Moby-Dick
[suivi de] Pierre ou les
ambiguïtés » éd.
publiée sous la direction de Philippe Jaworski,
Paris :
Gallimard (La Pléiade), 2006
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- Henry F.
Pommer, « Herman Melville and the wake of the Essex »,
American literature, vol. 20, n° 3, november
1948
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mise-à-jour : 7
juillet 2017 |
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