Les cahiers Morillot, ou la
vie très exotique du boucher Poncelet / Jean-Jo
Scemla ; préface de Gilles Manceron. -
Paris : L'Harmattan, 1996. - 174 p. ;
22 cm. - (Mondes océaniens).
ISBN 2-7384-8396-8
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Jean-Jo Scemla a
présidé le jury du 6e Prix du Livre Insulaire
(Ouessant, 19-22 août 2004) |
Ouvrir ce livre, c'est ajouter
un étage à un riche édifice.
Précédant le lecteur, l'auteur, Jean-Jo Scemla,
scrute l'étrange passion de Fernand Poncelet,
lui-même dévoué toute sa vie
à une analyse opiniâtre de la vie et de
l'œuvre d'Octave Morillot, officier de marine en rupture de
ban devenu peintre pour mieux interroger le mystère du monde
des îles d'Océanie.
Comme le note Jean-Jo Scemla,
Morillot privilégie dans sa peinture la recherche du
détail seul capable de recréer
l'intensité de sa vision ; Poncelet au contraire
tente une approche presque encyclopédique, ne
négligeant aucune piste pour cerner l'objet de sa
quête. Jean-Jo Scemla enfin tend vers la synthèse,
élaguant dans la profusion des sources collectées
par Poncelet pour mieux souligner les lignes de force d'un
étonnant parcours.
En marge de cette aventure, et
selon leurs inclinations, les lecteurs pourront encore
découvrir, une curieuse galerie de portraits (Victor Segalen, Jean Dorsenne,
Claude Farrère, Titaÿna, l'amiral Decoux, le R.P.
Patrick O'Reilly, Léonce Jore, …), les
clivages du monde des océanistes entre les deux guerres, les
arcanes de la bibliophilie, une réflexion sur les
mérites du voyage immobile ou, au contraire, une invite
à gagner les antipodes … Tous pourront
ajouter une strate au long parcours qui, du lagon de Raiatea, conduit
à ce livre heureusement déroutant et inclassable.
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EXTRAIT |
Comme si l'évidence du monde l'avait
frappé de sa netteté, le jeune Morillot pensa que
celle-ci passait par l'indissociabilité de ses
éléments, le respect de la proportion et des
relations. Si l'exote segalénien sait qu'il ne peut jamais
rien assimiler — et s'en réjouit — il
n'en cherche pas moins l'exactitude. Morillot resta longtemps
fidèle à cette démarche de ses
débuts, née alors qu'il ne savait pas encore
peindre et voulait capter toute la présence. Son
esthétique provenait de sa pure intention
initiale : tout apprendre de Tahiti et, puisqu'il
était désormais seul et sans maître,
loin de toute influence, se mettre aussitôt à son
école. Pour recréer Tahiti, pour
« faire œuvre profonde, a-t-il
écrit, il faut l'avoir longuement, minutieusement
démonté, approfondi et surtout
aimé ».
Sauvage donc, Morillot en méritait bien
le titre comme Gauguin,
« l'oviri », à la
suite de ce travail d'effacement personnel devant la profusion
insulaire. C'était là le premier
précepte à l'exote de Segalen, que Morillot
adopta, un temps, à la lettre. C'est pourquoi son projet se
donne d'abord comme une version picturale et candide des
thèses de Segalen sur l'exotisme. Morillot concevra
l'exotisme comme l'exactitude même jusqu'à ce
qu'il acquière la pleine technique de son art.
Dès lors il ne s'effacera plus, mais existera enfin devant
son sujet et, mieux encore, saura être excessif.
C'est cette évolution de Morillot qui
fascine particulièrement l'autodidacte Poncelet. Il se dit
« saisi en pensant à son point de
départ et aux résultats qu'il finit par
obtenir ». Plus Morillot apprenait dans la
naïveté, plus sa libération
était forte et son expression originale. C'est pourquoi
Poncelet comprend que Morillot, cohérent ici avec
lui-même, ait commencé par rejeter, contre l'avis
de Segalen, l'œuvre de Gauguin. Cette résistance
momentanée à Gauguin était
nécessaire à sa détermination
naissante.
☐ pp. 154-155
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
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mise-à-jour : 19 novembre 2020 |
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