Le
sermon sur la chute de Rome / Jérôme Ferrari. -
Arles : Actes sud, 2012. - 201 p. ; 22 cm. ISBN 978-2-330-01259-5
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| … il
s'efforce de se tourner vers le Seigneur mais il revoit seulement
l'étrange sourire mouillé de larmes que lui a jadis
offert la candeur d'une jeune femme inconnue, pour porter devant lui
témoignage de la fin, en même temps que des origines, car
c'est un seul et même témoignage.
p. 202 |
D'une
photo de famille prise en Corse pendant l'été 1918 surgit
l'évocation d'un monde figé dans l'attente d'une embellie
qui à l'évidence ne viendra pas ; on y voit cinq
frères et sœurs autour de leur mère qui
« fixe si intensément un point situé bien
au-delà de l'objectif qu'on la dirait indifférente
à tout ce qui l'entoure » (p. 11), comme pour
mieux désigner l'absent — ce n'est pas celui qui
contemple aujourd'hui la photo, car à l'époque où
elle a été prise il n'était pas encore né
mais Marcel, le père fait prisonnier au début de la
guerre et qui ne reviendra que quelques mois plus tard
sachant « ce qu'était une
apocalypse » (p. 19).
Passé ce prologue,
Jérôme Ferrari relate les cheminements contrariés
de la descendance de Marcel : Jean-Baptiste part au plus loin pour
« effacer la mer et découvrir enfin …
à quoi pouvait ressembler un monde »
(p. 18) ; en Algérie, Aurélie s'engage à
faire revivre « d'un amas de pierres muettes …
une cité pleine de vie » (p. 109) ;
Matthieu et son ami Libero, enfin, quittent l'université dans
l'espoir de raviver la sociabilité déclinante du village
de leur enfance où ils entreprennent de relancer
l'activité d'un bar, croyant en naïfs lecteurs de Leibniz
en faire « le meilleur des mondes possibles »
(p. 99).
À tous s'imposera la loi
énoncée par l'évêque d'Hippone à
l'annonce de la prise de Rome par les Wisigoths :
« L'homme bâtit sur du sable »
(p. 198) ; quand intervient ce rappel Marcel, le père
absent de la photographie sur laquelle s'est ouvert le roman, vit ses
dernières heures, veillé par sa petite-fille
Aurélie.
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EXTRAIT |
… un
monde avait bel et bien disparu sans qu'aucun monde nouveau ne vienne
le remplacer, les hommes abandonnés, privés de monde,
continuaient la comédie de la génération et de la
mort, les sœurs aînées de Marcel se mariaient, l'une
après l'autre, et l'on mangeait des beignets rassis sous un
implacable soleil mort, en buvant du mauvais vin et en s'astreignant
à sourire comme si quelque chose allait enfin advenir, comme si
les femmes devaient finir par engendrer, avec leurs enfants, le monde
nouveau lui-même, mais rien ne se passait, le temps n'apportait
rien de plus que la succession monotone de saisons qui se ressemblaient
toutes et ne promettaient que la malédiction de leur permanence,
le ciel, les montagnes et la mer se figeaient dans l'abîme du
regard des bêtes qui traînaient sans fin leurs carcasses
maigres au bord des fleuves, dans la poussière ou dans la boue
et, au fond des maisons, à la lueur des bougies, tous les
miroirs reflétaient des regards semblables, les mêmes
abîmes creusés dans des visages de cire. Quand la nuit
tombait, recroquevillé au fond de son lit, Marcel sentait son
cœur se serrer d'une angoisse mortelle parce qu'il savait que
cette nuit profonde et silencieuse n'était pas le prolongement
naturel et provisoire du jour mais quelque chose de terrifiant, un
état fondamental dans lequel retombait la terre, après un
effort épuisant de douze heures, et auquel elle
n'échapperait jamais plus. L'aube n'annonçait qu'un
nouveau sursis …
☐ pp. 17-18 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « Variétés de la mort »,
Ajaccio : Variétés de la mort, 2001
- « Aleph zéro »,
Ajaccio : Albiana, 2002
- « Dans le secret »,
Arles : Actes sud, 2007, 2010
- « Balco atlantico », Arles : Actes sud, 2008, 2012
- « Un dieu un animal », Arles : Actes sud, 2009, 2012
- « Où j'ai laissé mon âme », Arles : Actes sud, 2010
- « Fozzano », in Une enfance corse, textes recueillis par Jean-Pierre Castellani et Leïla Sebbar, Saint Pourçain-sur-Sioule : Bleu autour, 2010
- Marcu Biancarelli, « Prighjuneri = Prisonnier » éd. bilingue trad. du corse par Jérôme Ferrari, Ajaccio : Albiana, 2000
- Marcu Biancarelli, « San Ghjuvanni in Patmos = Saint Jean à Patmos »
éd. bilingue trad. du corse par l'auteur, Jérôme
Ferrari et Didier Rey, Ajaccio : Albiana, 2001
- Marcu Biancarelli, « 51 Pegasi, astre virtuel » trad. du corse par Jérôme Ferrari, Ajaccio : Albiana, 2004
- Marcu Biancarelli, « Extrême
méridien » trad. du corse par Bernard
Biancarelli, Paul Desanti, Jérôme Ferrari et l'auteur,
Ajaccio : Albiana, 2008
- Marcu Biancarelli, « Murtoriu,
ballade des innocents » trad. du corse par
Jérôme Ferrari, Marc-Olivier Ferrari et
Jean-François Rosecchi, Ajaccio : Albiana, 2012
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mise-à-jour : 23 novembre 2015 |
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