Massacre des innocents / Marc
Biancarelli. - Arles : Actes sud, 2018. -
293 p. ; 22 cm.
ISBN 978-2-330-09234-4
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : En 1629, le Batavia, navire
affrété par la Compagnie néerlandaise
des Indes
orientales, s’abîme au large de
l’Australie. Les
quelque deux cent cinquante rescapés ayant rejoint les
îlots rocailleux alentour sont alors victimes d’un
immense
massacre orchestré par l’intendant
Jeronymus
Cornelisz, qui chaque jour s’enfonce davantage dans la
violence,
la cruauté et l’abjection. Face à lui
— les mains tachées du sang des innocents
qu’il
a exterminés durant sa carrière de
soldat —,
un certain Weybbe Hayes prend la tête de la
résistance et
sauve de la mort une poignée de naufragés.
De
cet épisode sanguinaire, Marc Biancarelli
s’empare
pour donner vie, corps et âme à des hommes
contaminés par le Mal, qui corrompt ceux qui le touchent du
doigt en un cercle vicieux dont ils ne peuvent s’extraire.
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MARC
BIANCARELLI
: Le naufrage du Batavia
en 1629, et le conflit sanglant qui s’ensuivit entre les
survivants, est une histoire qui a toujours nourri mon désir
d’écriture. Mais il s’agissait
d’un
désir contrarié, en raison notamment du fait que
l’historien Mike Dash en avait tiré un essai que
le
romancier Simon Leys jugeait définitif 1.
Je
me suis longtemps plié à ce jugement,
jusqu’au jour
où j’ai compris qu’il restait un
récit
singulier à inventer autour de ce cadre historique, et une
matière romanesque encore en friche qui me permettrait
d’explorer plus avant les thématiques
généralement présentes dans mon
écriture.
Dont celle de la violence, matrice essentielle de mon travail, et que
j’ai abordée sous bien des aspects concernant
spécifiquement la Corse. Ici, le huis clos insulaire,
l’opposition des groupes, la barbarie hallucinante des
affrontements ne pouvaient que faire écho en moi.
Un
autre thème sur lequel je travaillais, celui du retour
à
la sauvagerie, pouvait aussi trouver dans le carnage des Abrolhos le
théâtre de son expression. Mais je
n’étais
pas dans l’idée de proposer un récit
où la
pure aventure serait le seul argument. Dès lors, la peinture
hollandaise du XVIIe
siècle, voire la culture de cette époque ou les
soubresauts liés à la guerre de Trente Ans
s’imposèrent comme le contrepoids
esthétique 2
de ma narration.
Une
dernière chose, enfin, était importante
à mes
yeux : la réévaluation, dans une
dimension
romanesque, du rôle de certains protagonistes,
c’est-à-dire ceux qui allaient devenir mes
personnages.
Ainsi Weybbe Hayes et Lucretia Jansdochter, mais aussi le sombre
Jeronymus Cornelisz, méritaient-ils que l’on
s’interroge, au travers de leurs actes, sur une certaine
complexité de la nature humaine. Face à
l’extrême, la dureté des
épreuves, quand
devenons-nous des résistants ? Ou, à
l’inverse, qu’est-ce qui fait de nous des
êtres
déchus ?
1. |
Cf. éléments
bibliographiques ci-dessous. |
2. |
Empreint de
sérénité, l'Épilogue du
roman (pp. 278 et suivantes) se joue dans les rues de Delft. On y
surprend dans l'encadrement
d'une fenêtre le sujet de tableaux à venir de
Vermeer (c'est en 1643, et
le peintre alors n'avait pas dix ans) ; ainsi le
géographe : « L'homme
est en robe de soie bleue … et il tient un compas
à la main. On
distingue sur le haut d'une armoire un globe terrestre, qui montre
l'océan Indien » — p. 283. |
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EXTRAIT |
Une
brise gonfle les voiles, la navire file à bonne allure.
Après les angoisses des jours passés, Jacobsz
n'aspire
qu'à une chose : s'apaiser, et retrouver sa route.
Retrouver même, si c'est possible, le fil de sa propre vie.
Une
trace blanche, dans le lointain, au dessus des vagues. Le timonier s'en
étonne.
Vous voyez capitaine ? C'est
quoi ?
La traînée
blanche ? C'est les reflets de la lune.
Je vire de bord ?
Vous virez pour la
lune ? Vous êtes fou, Gerritsz, mais il y a une
gloire à être fantaisiste.
Nous avançons vite.
Tant mieux, restez vent
arrière, nous avons du temps à rattraper.
Gerritsz
se tranquillise, et il maintient le cap. Quelques nuages inoffensifs
apparaissent rapidement, qui masquent la lune et obscurcissent le ciel.
La route face à eux s'assombrit aussi, ils ne voient plus
que
les reflets brillants sur les flots noirs. Ils foncent, enfin sereins,
superbes de témérité, rapides, au
milieu de
l'immensité.
Un choc d'une violence épouvantable. Un
crissement monstrueux tout le long de la coque. Le timonier
lui-même a chuté, il se relève, mais la
barre est
devenue folle, incontrôlable. Jacobsz est à terre,
il
s'est agrippé comme il a pu au mât d'artimon, mais
c'est
comme s'il flottait à moitié dans les airs. Le
navire a
basculé en frappant les récifs, de plein fouet.
☐ p.
24 |
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ÉLÉMENTS
BIBLIOGRAPHIQUES |
- « Prighjuneri / Prisonnier »
Nuvelli / Nouvelles trad. du corse par Jérôme
Ferrari, Albiana, Ajaccio, 2000 — Prix du
Livre Insulaire, catégorie fiction, Ouessant 2001
- « San Ghjuvanni in Patmos / Saint
Jean à Patmos »
Nuvelli / Nouvelles trad. du corse par l'auteur,
Jérôme
Ferrari et Didier Rey, Albiana, Ajaccio, 2001 — Prix
du Livre Insulaire, catégorie fiction, Ouessant 2002
- « Parichji
dimonia », Ajaccio : Albiana, 2002
- « 51
Pegasi, astru virtuali », Ajaccio :
Albiana, 2003
- « 51 Pegasi, astre virtuel »,
Ajaccio : Albiana, 2004
- « Stremu
miridianu », Ajaccio : Albiana, 2007
- « Extrême
méridien », Ajaccio : Albiana,
2008
- « Vae
victis, et autres tirs collatéraux »,
Calvi : Materia scritta, 2010
- « Cosmographie :
chroniques littéraires, 2009-2010 /
Cusmugrafia :
cronichi literarii, 2009-2010 » trad. française
par
Olivier Jehasse, Alata : Colonna, 2011
- « Murtoriu »
trad. du corse par Jérôme
Ferrari, Marc-Olivier Ferrari et Jean-François Rosecchi,
Arles : Actes
sud, 2012
- « Orphelins
de Dieu », Arles : Actes sud, 2014
|
- « Le
poulpe, la langouste et la murène », in Ici
la Corse / Corsica calling, Mediterraneans /
Méditerranéennes, n° 12,
août 2001
- « La
Presqu'île des Pas Perdus », in Terra Kerguelensis Incognita collectif
illustré par Catherine Bayle, Matoury (Guyane) :
Ibis rouge, 2005
- «
Natio Borgo Selvagio », in Nouvelles
de Corse, textes choisis et
présentés par Pierre Astier, Paris :
Magellan (Miniatures), 2008
|
- Mike
Dash, « L'archipel des
hérétiques : la
terrifiante histoire des naufragés du
Batavia »,
Paris : JC Lattès, 2002
- Simon Leys,
« Les naufragés du
Batavia », Paris : Arléa, 2003
- Francisco
Pelsaert, « The voyage of the
Batavia » ed. and
translated by Willem Siebenhaar and Martin Terry, Potts Point (New
South Wales) : Horden house, 1994
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mise-à-jour : 6
juin 2019 |
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