Les enfants de la mer / Henri
Queffélec. - Paris : Hachette, 1980. -
318 p. ; 23 cm.
ISBN 2-01-007665-6
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Les îles n'occupent
pas tout l'espace de ce recueil de souvenirs, mais elles y ont une
place de choix, qu'il s'agisse d'Ouessant, de l'île de Sein,
ou encore de l'île Melon posée en mer au
débouché de l'aber Ildut (Finistère).
C'est, pour Henri
Queffélec, l'occasion d'évoquer de chaleureuses
discussions entre amis, des rencontres insolites ... tout ce
qui fait la saveur irréductible de l'Armor, une certaine
idée de la Bretagne. Confrontant l'évocation de
tel précieux moment daté d'un
demi-siècle avec le présent, l'auteur s'interroge
sur la persistance du charme originel, pour
conclure avec optimisme : « A
l'été de 1979 (et au mois
d'août !), j'ai brusquement revécu la
poésie arturienne, fervente et cocasse, [...] du voyage
d'hiver à l'île de Sein de
1937 ».
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EXTRAIT |
Un groupe ne s'ennuie jamais, apprends
ça, petit.
L'île de Sein hivernale où
j'ai débarqué de l'Ar Zenith,
patron Épicrate, m'a enseigné la même
leçon.
Dans le petit hôtel qui acceptait de me loger et de me
nourrir, bien qu'il se considérât comme
fermé (« Dame, vous êtes
là ! On ne va pas vous remettre à la
mer »), ma chambre se trouvait située
juste au-dessus de la salle de café. Le problème
de l'insonorisation ne troublait personne à cette
époque. Le plancher me transmettait, fidèlement,
toutes les voix.
Le lendemain de mon arrivée, le coup de chien
annoncé par Épicrate s'était
levé. Pluie, hurlements des rafales, chahut des vagues. La
mer était officieusement consignée aux bateaux et
les mâles de l'île erraient comme des corps en
peine. Ils se réfugiaient sous des auvents primitifs
tournés vers l'est, roulaient et grillaient une cigarette en
regardant les convulsions de la mer, les allées et venues
des brumes, et puis, d'un coup, en groupe, mettaient le cap sur un
café. En dessous de ma chambre, ça ne
désemplissait guère. A trois reprises, notamment,
j'ai eu droit au même équipage
douarneniste ; ils faisaient semblant d'attendre une accalmie,
pour supporter l'inaction, et tous les propos de ces hommes avaient un
double sens.
Douarnenistes ou Sénans, les pêcheurs se
réclamaient des chansons les uns aux autres.
J'écoutais.
[…]
« Envoyées » dans ce
cadre comme les drapeaux d'une nostalgie bretonne et îlienne,
trois chansons m'ont laissé un souvenir poignant.
Nuits de Chine,
Nuits câlines,
Nuits d'amour !
Nuits d'ivresse,
Nuits de caresses ...
Et :
Je revois les grands sombreros
Et les mantilles !
J'entends le chant des fandangos,
Les séguedilles ...
Comment diable de telles évocations,
alors qu'une tempête d'hiver se
déchaînait au-dehors contre les flots de la mer
celtique et les hauts-fonds de la Chaussée de Sein ?
[…]
La troisième chanson était chez elle
immédiatement. Je l'aurais qualifiée de
« trop belle » sans la peur de
commettre un sacrilège.
Bercé par la houle,
Qu'il fait bon rêver !
Car, toutes les fois qu'un homme l'entonnait, ses
camarades lui déniaient le droit de s'exprimer à
leur place : leurs voix montaient comme une fausse
colère, à peine moins fortes que la sienne, et
ils le suivaient au loin sur les creux et les bosses de la mer.
L'onde déroule
Son blanc sillon !
J'ai gardé à l'oreille ce
« sillon » hautement, durement
gémi par tous — étoffe qui se
déchire, vie qui s'arrache du
cœur …
… Mais Dieu apaisait les tempêtes. Sa
main refermait les plaies. Un homme se retrouvait tenant la barre.
Qu'il ... fait bon !
Il n'y avait plus rien à dire. Personne
n'applaudissait. Le vent ululait à toute vitesse par-dessus
l'île et il viendrait forcément une heure
où lui-même aurait besoin de sommeil.
[…]
Voilà ce qui se passait dans les
grandioses paysages tourmentés de
l'extrême-Bretagne huit mois avant Munich, vingt mois avant
la Seconde Guerre mondiale : des hommes
profondément virils en appelaient au chant, dans le creux
d'une journée d'hiver, pour tenir tête
à la violence des choses.
☐
« La
Bretagne chantait », pp. 313-316
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Henri Queffélec,
« Aimer les îles
bretonnes », Rennes : Ouest-France, 1991
- Henri Queffélec,
« Bretagne des îles », Paris : Hachette, 1959
- Henri
Queffélec, « Ils étaient
six marins de
Groix … et la tempête »,
Paris :
Pocket (Pocket, 17511), 2019
- Henri Queffélec, « Je te salue, vieil océan », Monaco : Ed. du
Rocher, 2006
- Henri
Queffélec, « Le
phare », Paris : Pocket (Pocket, 17918),
2020
- Henri
Queffélec, « Les
îles de la Miséricorde »,
Paris, 1975
- HHenri
Queffélec, « Lettres à
Gérard Le Gouic
(1964-1991) »
éditées et annotées par Eric Auphan,
Brest : Centre
d'étude des correspondances et journaux intimes (Cahier,
13), 2018
- Henri Queffélec, « Romans
maritimes [contient] Un feu s'allume sur la mer, Le voilier qui perdit
la tête », Etrepilly : Christian de
Bartillat, 1993
- Henri Queffélec,
« Un Breton bien tranquille », Paris : Stock, 1978
- Henri Queffélec, « Un homme d'Ouessant »,
Paris,
Paris : Gallimard (Folio, 541), 1974
- Henri
Queffélec, « Un
recteur de l'île de Sein », Paris :
Bartillat, 2007
- Henri Queffélec, « Visages de l'île de
Sein, peintures de R.L. Dufour »,
[Langoiran], 1975
- Henri Queffélec et Peter Anson,
« Marins de
Bretagne »,
Saint Malo : L'Ancre de marine, 1994
|
- Pierre Dufief (dir.) et Eric Auphan,
« Henri
Queffélec écrivain humaniste », Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001
- Eric
Auphan et Marie-Josette Le Han (éd.), « Henri
Queffélec, un Breton écrivain »
actes du Colloque du centenaire, Brest : Centre d'étude des
correspondances et journaux intimes, Association des amis d'Henri
Queffélec, 2012
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mise-à-jour : 30 septembre 2020 |
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