Lettres
à Nora / James Joyce ; trad. de l'anglais
(Irlande),
préfacé et annoté par André
Topia. -
Paris : Payot & Rivages, 2012. -
195 p. :
ill. ; 17 cm. - (Rivages poche : Petite
bibliothèque, 741).
ISBN
978-2-7436-2329-6
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La
figure de Nora hante … toute la fiction de Joyce,
de Dublinois
à Finnegans
Wake.
Gretta dans « Les Morts », Bertha
dans Les
Exilés,
Molly dans Ulysse, Anna
Livia Plurabelle dans Finnegans
Wake
renvoient sans cesse en écho au mystère de la
féminité, sur lequel Joyce n'a cessé
de
s'interroger et dont Nora représentait pour lui le
modèle
vivant à travers ses infinis avatars.
☐
André
Topia, Préface,
pp. 7-8 |
Nora
Barnacle et James Joyce ont fait connaissance début juin
1904 ; elle avait vingt ans, il en avait vingt-deux.
Dès le
15 juin Joyce craint d'être oublié ; le 8
juillet il
salue la chère
petite tête brune. La
vingtaine de lettres qu'il écrit cette année
témoignent d'une passion naissante, comme on en vit au
sortir
de l'adolescence, « avec ses envolées
romantiques
pleines d'effusions littéraires, ses alternances
d'exaltation et
de doute, et déjà ses morsures de
jalousie » 1.
En
juillet 1909 quand reprend l'échange épistolaire,
Nora
Barnacle est à Trieste, James Joyce à
Dublin ; deux
enfants sont nés. La tension est sensible,
exacerbée par
l'éloignement, les difficultés
matérielles, les
sensibilités qui se sont affinées avec
l'âge
— et les manœuvres déloyales
d'amis 2
qui un temps sèment le doute. Le désarroi qui
marque
cette période n'est sans doute pas étranger au
délire érotique qui imprègne plusieurs
lettres
où l'on peut également deviner l'effet en retour
d'une
éducation rigidement bien pensante :
« l'érotisme et même
l'obscénité
qui se donnent libre cours dans ces lettres restent indissociables de
l'exaltation mystique et de l'adoration religieuse » 3.
L'ensemble
éclaire précieusement la genèse de
l'œuvre
littéraire de Joyce, et l'apport déterminant de
Nora
Barnacle. Il met en évidence les forces antagonistes avec
lesquelles l'auteur a du composer : le brouillage
évoqué de l'image féminine
tantôt vierge
ou madone,
tantôt « impudique, insolente, demi-nue et
obscène » 4.
Une
opposition aussi tranchée caractérise le regard
de
l'auteur sur son île natale, entre doute
— « un pays étrange
bien que j'y sois
né » 5 —,
rejet — « j'ai en horreur
l'Irlande et les Irlandais » 6 —
et irrévocable attachement
— « j'entendais
mon pays qui m'appelait (…) je deviendrai vraiment le
poète de ma race » 7.
Nora et James se sont
mariés en 1931, soit vingt-sept ans après leur
première rencontre.
1. |
Préface,
p. 11 |
2. |
Un
racontar bête et méchant, lancé par
Vincent
Cosgrave et Oliver St John Gogarty dans le but
délibéré de briser le couple. |
3. |
Préface,
p. 24 |
4. |
2 septembre 1909, p. 92 |
5. |
19 novembre 1909, p. 124 |
6. |
27 octobre 1909, p. 111 |
7. |
5 septembre 1909, pp. 97-98 |
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EXTRAIT |
À
Nora Barnacle Joyce
[Cachet de
la poste 22 août 1912, Dublin]
[…]
Si
tout va bien nous pourrions passer quelques jours en compagnie l'un de
l'autre. J'aimerais te montrer beaucoup de lieux de Dublin qui sont
mentionnés dans mon livre 1.
Je regrette que tu ne sois pas ici. Tu es devenue une partie de
moi-même — une seule chair. Lorsque nous
rentrerons
à Dublin si je te donne des livres les liras-tu ?
Ensuite
nous pourrions en parler. Personne ne t'aime comme moi et j'aimerais
lire avec toi les différents poètes et
dramaturges et
romanciers en te servant de guide. Je te donnerai seulement ce qui est
le plus beau et le meilleur en littérature. Pauvre
Jim ! Il
fait toujours et toujours des plans !
J'espère que j'aurai de bonnes nouvelles demain.
Si
seulement mon livre est publié alors je me plongerai dans
mon
roman 2
et je le terminerai.
L'Abbey
Theatre sera
ouvert et ils présenteront des pièces de Yeats et
de
Synge. Tu as le droit d'y être car tu es mon
épouse :
et je suis l'un des écrivains de cette
génération
qui sont peut-être en train de créer enfin une
conscience
dans l'âme de cette misérable race 3.
Addio !
Jim
1. |
Dubliners, qui ne
paraîtra qu'en 1914. |
2. |
Ulysses. |
3. |
Stephen
Dedalus écrit dans son journal à la fin du Portrait de l'artiste en jeune
homme :
« Bienvenue, ô vie ! Je pars,
pour la
millionnième fois, rencontrer la
réalité de
l'expérience et façonner dans la forge de mon
âme
la conscience incréée de ma
race ». [NdT] |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Letters
of James Joyce, vol. II » ed. by Richard
Ellmann, London : Faber and Faber, 1966
- « Letters
of James Joyce, vol. III » ed. by Richard
Ellmann, London : Faber and Faber, 1966
- « Selected
letters of James Joyce » ed. by Richard Ellmann, New
York : Viking press, 1975
|
- « Ulysse »
nlle trad. sous la dir. de Jacques Aubert, Paris : Gallimard
(Du Monde entier), 2004
|
- Frank
Budgen, « James
Joyce et la création d'Ulysse »,
Paris : Denoël, 2004
- Adrien
Le Bihan, « Je naviguerai vers l'autel de
Joyce », Espelette : Cherche-bruit, 2010
- Adrien
Le Bihan, « James Joyce travesti par trois clercs
parisiens », Espelette : Cherche-bruit, 2011
- Julián
Ríos, « Chez
Ulysse », Auch : Tristram, 2007
- Italo
Svevo, « Ulysse est
né à Trieste »,
Bordeaux : Finitude, 2004
- Enrique
Vila-Matas, « Dublinesca »,
Paris : Christian Bourgois, 2010
|
- Brenda
Maddox, « Nora : la
vérité sur les
rapports de Nora et James Joyce », Paris :
Albin
Michel, 1990
- Edna O'Brien, « James & Nora », Paris : Sabine Wespieser, 2021
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mise-à-jour : 25 février 2021 |
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