Une
si longue attente : Lettres janvier 1858-juillet 1861,
Îles
Shetland / Robert Jamieson et Barbara Laing ; trad.
de
l'anglais par Jean-Paul Blot ; avant-propos de Kay
Wheatcroft ; introduction de Christine De Luca. -
Gardonne :
Fédérop, 2013. - 133 p. :
ill. ;
21 cm.
ISBN
978-2-85792-214-8
|
Robert
Jamieson, un jeune maître d'école, et Barbara
Laing fille
d'un maître d'école ont
échangé des lettres
d'amour pendant plus de trois ans avant de pouvoir se marier. Ils
vivaient sur la même île, mais une cinquantaine de
kilomètres séparaient Sandness où
était
affecté Robert et Gulberwick où Barbara vivait
chez ses
parents. De Sandness à Gulberwick, un rude chemin
— da
black gaet — traversait landes,
collines et tourbières. La
longue attente ne fût interrompue qu'en deux ou trois
occasions
avant le mariage.
Les lettres expriment, parfois
indirectement,
le poids de cette attente et les efforts consentis pour en
atténuer les
effets. Le travail y contribuait ; il ne manquait
pas :
enseigner, mais encore semer, cultiver,
récolter, assurer
toutes les charges d'un mode de vie rigoureusement autarcique. Enfin la
lecture servait à meubler les rares heures de
loisir : Walter Scott et Robert Burns
— l'Ecosse —, Longfellow,
Lamartine et d'autres,
sans oublier journaux et magazines en nombre, supports de toutes
les curiosités.
Ces échanges
permettent
d'ébaucher deux portraits, ils livrent également
de précieuses
informations sur la vie aux Shetland dans la seconde moitié
du
XIXe
siècle, la rigueur du climat, les dangers de la mer,
l'emprise
de la religion, la nécessité pour beaucoup
d'émigrer. Dans une lettre Robert s'insurge contre l'image
de
l'île telle qu'elle apparaît dans les publications
qu'il
consulte : “ J'ai lu des douzaines de
descriptions des
Shetland, mais jusqu'à présent aucune ne
correspond
à la réalité. On dirait qu'elles ont
été écrites par des
étrangers qui ont fait
une simple visite éclair, avec dès le
départ des
idées toutes faites ”
— 7 février 1860, p. 72.
La
dernière lettre du recueil est datée du 16
juillet 1861.
Robert et Barbara se marient le 6 août et auront huit
enfants.
Robert meurt en 1899, Barbara en 1923.
|
EXTRAITS |
Gulberwick, le 21 avril 1860
Comptant sur votre venue, j'avais
décidé de ne pas
vous écrire à nouveau, mais puisque vous ne vous
êtes pas encore présenté, il me faut
donc m'y
remettre. Je suis vraiment lasse et fatiguée d'attendre.
Ça fait maitenant deux ou trois semaines que Père
vous
attend, et c'est pour cette raison qu'il ne vous a pas
écrit.
Moi-même je vous ai guetté toute cette semaine.
J'ai
été fort désolée
d'apprendre que la petite
vérole s'était déclarée si
près de
chez vous, j'espère de tout cœur qu'elle ne s'est
pas
propagée jusqu'à Sandness.
Ne vaudrait-il pas mieux, quand vous viendrez, de prendre, si
vous pouvez, un bateau jusqu'à Scalloway, ainsi cela vous
éviterait de passer par Walls, vous seriez plus vite
arrivé ici avec moins de fatigue. Lundi je vais à
Lerwick, et y resterai jusqu'à ce que je sache que vous
êtes arrivé.
Père a prévu de faire des travaux dans
l'école cette semaine, mais il faudra probablement attendre
deux
ou trois semaines avant que l'on fasse quelque chose dans la maison de
Gulberwick.
☐
p. 81
|
Sandness, le 7 juin 1860
Il
y eut un temps, mon amour chéri, où je trouvais
un
certain plaisir à vous écrire à minuit
lorsque
tout est calme et fait silence, lorsqu'aucun bruit n'est perceptible si
ce n'est le sifflement assourdi et triste de la brise de printemps.
Pourquoi je préférais plus
particulièrement ce
moment, je n'arrive pas à me l'expliquer.
Les travaux de printemps se sont terminés le 18
mai, et
l'extraction de la tourbe il y a environ une semaine, (vous n'avez
jamais assisté, je pense, à une extraction de la
tourbe
aux Shetland — cela vaut bien un mariage, et un
article dans
le Chambers ),
et durant un certain temps on cesse pratiquement tout travail.
J'envisage très sérieusement de me rendre dans
l'est pour
vous voir. Si vous pouviez poster un mot dimanche soir pour me dire
quand les réparations devraient se terminer, cela me ferait
plaisir.
J'ai
ouvert l'école il y a environ trois semaines, les effectifs
sont
d'une quarantaine d'élèves. D'après
une promesse
faite l'an dernier, l'école devrait être remise
à
neuf en juillet. J'aurai alors une semaine ou deux de
liberté,
et ce serait une joie de pouvoir me rendre à G[ulberwick],
durant ce ravissant mois de juillet.
☐
p. 82
|
Gulberwick,
le 13 juin 1860
Bon,
je reconnais que je ne suis pas une bonne
épistolière, et
ne devrais donc pas faire de critiques, mais je pense vraiment que,
lorsque les gens savent
bien
écrire ils devraient le faire. Quelle magnifique lettre vous
m'avez envoyée là ! J'aurais pu me
douter qu'elle a
été écrite à minuit, dans
un état de
semi-somnolence, une lettre sans vie, paresseuse. Il me semble que,
lorsque vous l'avez commencée, vous dodeliniez de la
tête
et qu'après la première page vous vous
êtes
carrément endormi. Comment avez-vous pu ? Parler
d'extraction de la tourbe dans une lettre d'amour ! Si votre
intention était de m'expliquer comment on extrait la tourbe,
pourquoi ne pas faire un article dessus et l'envoyer au Chambers' Journal,
puis me faire parvenir le numéro dans lequel il a
été publié ? Et pour finir,
vous me dites que
vous avez sérieusement envisagé de venir dans
l'est. Hum,
hum !
☐
p. 83
|
Sandness,
le 21 juin 1860
Je
devrais m'excuser, ma chérie, pour la façon fort
maladroite avec laquelle j'ai rédigé ma
dernière
lettre. Au moment de l'envoyer, j'ai réalisé
qu'elle
était parfaitement saugrenue, mais comme les rayons
orientaux de
l'aube doraient déjà le sommet des hauteurs, je
n'avais
pas le temps de la recommencer. Parler de l'extraction de la tourbe
était totalement grotesque, sauf que, à
l'occasion de ces
rassemblements et de bien d'autres aux Shetland, il s'y noue, ou du
moins il semblerait qu'il s'y noue beaucoup d'intrigues amoureuses.
☐
p. 83
|
|
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Shetland, a love story : letters of Robert Jamieson and Barbara
Laing » ed. by Kay Wheatcroft, Lerwick :
Shetland
Times, 2010
|
|
|
|
mise-à-jour : 25
septembre 2013 |
|
|
|
|