Le Monde d'or / John
Banville ; trad. de l'anglais (Irlande) par Michèle
Albaret-Maatsch. - Paris : Flammarion, 1994. -
266 p. ; 22 cm.
ISBN 2-08-066913-3
|
L'œuvre de Watteau
est au cœur du second volet de la trilogie artistique
(Frames trilogy dans l'édition anglaise)
de John Banville ; ces éléments
d'apparence disparate — Pierrot et
les personnages de la Comédie
italienne, le Pélerinage à
l'îsle de Cythère — sont
agencés en un tableau dont le titre, Le Monde d'or,
évoque une Arcadie perdue. De fait, les deux composantes du
motif (les êtres et le lieu) sont reprises et
développées sous un double
éclairage : une intrigue classiquement romanesque
qu'éclairent successivement la lecture du premier volet (The
book of evidence, ou Le
livre des aveux dans l'édition
française) et, a posteriori, celle du troisième
volet (Athena).
Une pressante interrogation se
greffe sur cette trame ; elle porte sur la présence
au monde et sur la représentation qu'en donne
l'œuvre d'art, plus précisément dans la
peinture, mais l'écriture n'est pas moins en question. Le
cadre insulaire — celui de l'intrigue, et celui qui sert
d'arrière-plan au tableau de Vaublin/Watteau —
accentue les tensions et donne une emprise particulière
à un jeu de mise en abyme que John Banville pratique avec
virtuosité, et non sans ruse.
|
NOTE
DE L'ÉDITEUR : Un homme au
lourd passé a trouvé refuge sur une
île ; il y attend le dieu de la
rédemption tout en poursuivant des recherches sur le
mystérieux peintre Vaublin, auteur du remarquable tableau
intitulé Le Monde d'or. Survient alors
un groupe de naufragés qui vont jouer pour lui une reprise
de la vie qu'il a connue jadis tandis que le diabolique
Félix, l'un des rescapés, lui rappelle un
passé qu'il souhaite oublier.
Dans ce roman à
multiples facettes où l'on retrouve entre autres Gulliver,
Robinson, Diderot et surtout Watteau, chaque protagoniste a son double,
son fantôme [Ghosts est le titre
original]. Ecrit dans une langue tout en finesse et d'une
beauté remarquable, Le Monde d'or nous
entraîne dans un univers animé aux jeux de miroirs
fascinants.
|
EXTRAIT |
A présent, j'attendais. A l'image de
maintes feuilles de calendriers arrachées, les jours
allaient pâlir, puis dégringoler par terre en
voltigeant ; j'allais coucher mes notes sur le papier,
accomplir mes corvées, manger, dormir, être. Et
puis, un jour, un jour en tout point semblable à tout autre
jour de cette saison changeante qui s'inscrit entre les approches
fiévreuses du printemps et les premières
manifestations dorées de l'été, je
regarderais par la fenêtre et je verrais ce petit groupe de
naufragés monter en peinant le chemin menant à la
maison et une porte s'ouvrirait sur un autre monde. Oh ! une
petite porte, par laquelle je pourrais tout juste me faufiler, mais une
porte tout de même. Et, là, dans cet espace neuf,
je me perdrais et m'estomperais pour devenir l'un des leurs, je serais
autre, non pas celui que j'avais été —
allez savoir, peut-être même cesserais-je
complètement d'exister. Ne pas être, ne pas
être : le vieux cri. Ou plutôt
être comme eux : réels et pourtant
simples chimères, rêves indispensables
à celui qui, allongé sur un lit
étroit, les yeux rivés sur la lumière
rayée qui balaie un mur gris, imagine des prés,
des chênes, des mouettes, des silhouettes en mouvement, un
monde habité. Je pense à un tableau au fond d'une
longue galerie, soudaine présence
révélée dans l'inattendu, douce
confusion — au premier coup d'œil — de
verts et de dorures se fondant dans l'atmosphère muette,
sereine. Regardez cette frondaison, ces nuages, la texture de cette
robe. Une silhouette affligée porte son regard dehors vers
quelque chose qui est en train de se perdre. On a une impression de
musique, ténue, rigoureuse et allègre. C'est la
fin d'un monde. Des oiseaux qu'on ne voit pas chantent dans les arbres,
le soleil brille quelque part, les distances jusqu'à la mer
sont vagues et pâlement bleues, la galiote attend. Les
silhouettes bougent, si tant est qu'elles bougent, comme dans un
décor en mouvement, un décor qu'elles
définissent par leur présence, en l'arbitrant.
Sans elles, il n'y a que des étendues désertes,
une orgie de verts, la turbulence du vent et le soleil fou. Elles
formulent le récit, le meublent et lui donnent de la
matière. Elles sont le moment humain.
☐ pp. 243-244
|
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Ghosts », Londres :
Secker & Warburg, 1993
|
|
- « Le
livre des aveux », Paris :
Flammarion, 1990
- « Athena »,
Paris : Robert Laffont (Pavillons), 2005
|
- « Infinis »,
Paris : Robert Laffont (Pavillons), 2011
- « La
lumière des étoiles mortes », Paris : Robert Laffont (Pavillons), 2014
- « La guitare bleue »,
Paris : Robert
Laffont (Pavillons), 2018
- « Neige sur Ballyglas House », Paris :
Flammarion (Pavillons), 2022
|
|
|
|
mise-à-jour
: 26 octobre 2022 |
|
|
|