La
guitare bleue / John Banville ; trad. de l'anglais (Irlande)
par
Michèle Albaret-Maatsch. - Paris : Robert Laffont,
2018. -
317 p. ; 22 cm. - (Pavillons).
ISBN 978-2-221-19562-8
|
|
Appelez-moi
Autolycos.
☐ Incipit |
De
bout en bout, le roman est écrit à la
première
personne : Oliver Orme se présente comme
un voleur
d'objets qui « n'ont dans l'ensemble que peu de
valeur », avant de préciser «
dans le temps
j'était peintre » ; un peintre qui a
connu la
notoriété avant que l'élan
créateur ne
fasse défaut — « Orme,
le grand peintre
qui ne peint plus ».
Du vide surgissent quelques pans
d'une vie banale qu'Oliver Orme tente de transcrire avec minutie et un
souci constant d'exactitude : le mariage avec Gloria, leur
petite
fille trop tôt disparue, l'amitié avec Marcus
l'horloger,
l'aventure avec Polly la femme de Marcus et la réplique de
Gloria et Marcus.
Les aspirations que l'on pourrait
prêter au peintre semblent loin, mais le récit
s'émaille régulièrement de
réminiscences
qui peuvent laisser penser que le feu couve encore. Pour
présenter Marcus, Oliver évoque d'abord un
autoportrait
de Dürer puis, des années plus tard, les Christs souffrants
de Grünewald.
Les
renvois au monde de la peinture prolifèrent :
Manet,
Tiepolo, Picasso, Matisse, Bonnard, Caspar David
Friedrich … Or ces
références semblent
utilisées pour soutenir et préciser le
récit,
ajouter une nuance : « tandis que nous
étions
allongés sur le vieux canapé
vert … je nous
ai vus comme une scène de genre, un dessin
d'étude de
Daumier par exemple, ou même un croquis à l'huile
de
Courbet, illustration des splendeurs et misères de la Vie de bohème »
(pp. 54-55).
Cette
contamination — ou cette
fécondation — du
récit par la peinture culmine quand, parmi les peintres
cités, surgit le nom de Vaublin, peintre fictif au centre
d'un
précédent roman de Banville, Ghosts 1.
Vaublin figurait alors un double probable de Watteau, voire une
projection de Banville lui-même, son jumeau.
Dans la double représentation
— l'œuvre du
romancier, l'œuvre du peintre — tout est
soumis au
questionnement malicieux de John Banville.
1. |
La traduction française est
intitulée Le monde d'or, en
référence au titre d'un tableau
attribué à Vaublin. |
|
EXTRAIT |
Revenez-en
à la remarque que j'ai lâchée, oh, il y
a une
éternité, selon laquelle cette
première rencontre
dont j'avais souvenir entre nous quatre, soit Polly, Marcus, Gloria et
moi, était une petite sortie dans un parc
quelconque ; on y
était allés ensemble un après-midi
d'été où il avait plu par
intermittences. J'en
avais alors parlé comme d'une version du Déjeuner sur l'herbe,
mais
le temps, je veux dire, ces derniers temps, l'ont ramené
à quelque chose de moins audacieux. À la place,
imaginez
par exemple une scène de Vaublin, mon semblable,
non, mon jumeau, pas en été cette fois mais en
une autre
saison, plus sombre, le parc crépusculaire avec ses masses
d'arbres auburn sous de lourds amoncellements de nuages
vespéraux, abricot foncé, dorés, blanc
gesso et,
dans une clairière, voyez le petit groupe lumineux
disposé sur l'herbe, un personnage grattant paresseusement
une
mandoline, un autre regardant pensivement au loin, le doigt
pressé sur une joue fossetée
— elle avait
vraiment des fossettes, la Polly, à
l'époque —, et, à
l'avant-plan, une
beauté blonde à chignon vêtue de soie
à
reflets dorés tandis que quelqu'un d'autre tout
près,
devinez qui, cherche à grappiller un baiser. Je bannis
délibérément la pluie, les moucherons,
la
guêpe que j'ai trouvée en train de patauger
désespérément dans mon verre de vin.
Ils ont tous
l'air aussi convenables qu'il vous siéra, ces pique-niqueurs
rassemblés là en petite bande, non ? Et
pourtant, il
a chez eux quelque chose d'un rien dissonant, comme si cette mandoline
ventrue avait une corde désaccordée.
À
propos, vous vous êtes trompé sur
l'identité
secrète de l'embrasseur putatif. Honnêtement, ce
n'était pas
moi !
pour rester sur le thème français que nous
semblons
favoriser aujourd'hui, du fait, je présume, de la soudaine
apparition de Vaublin.
☐ pp. 283-284 |
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
The blue guitar »,
Londres : Viking, 2015
|
- « Le livre des aveux »,
Paris : Flammarion, 1990
- « Le Monde d'or »,
Paris : Flammarion, 1994
- « Athena »,
Paris : Robert Laffont (Pavillons), 2005
- « Infinis »,
Paris : Robert Laffont (Pavillons), 2011
- « La
lumière des étoiles mortes », Paris : Robert Laffont (Pavillons),
2014 ; Paris : 10/18 (Domaine étranger),
2016
- « Neige sur Ballyglas House », Paris :
Flammarion (Pavillons), 20222
|
|
|
|
mise-à-jour : 7
février 2018 |
|
|
|