La Littérature
antillaise entre histoire et mémoire, 1935-1995 / Albert James
Arnold. - Paris : Classiques Garnier, 2020. - 354 p. ;
22 cm. - (Bibliothèque francophone, 9). ISBN 978-2-406-09149-3
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| L'histoire rassemble, la mémoire divise.
☐ Pierre Nora, cité en épigraphe au 1er chapitre de la 2ème partie, p. 81 |
Écrit
dans la foulée d'un large panorama des littératures de la
Caraïbe (1), cet ouvrage examine la littérature antillaise
francophone (Guadeloupe, Martinique) qu'il situe et caractérise
par rapport aux littératures voisines (anglophones,
hispanophones et néerlandophones) et suit dans son évolution
au cours d'un demi-siècle marqué — à ses
débuts (1935) par l'affirmation de la négritude — à son terme (1995) par l'émergence et la consécration de la créolité.
Dans
ce cadre comparatiste et historique, Albert James Arnold expose et
développe l'idée selon laquelle le principal ressort
d'évolution de la littérature aux Antilles francophones
serait tributaire du statut politique et social des deux
îles : colonies hier, départements depuis 1946, régions mono-départementales depuis 1982. Cette évolution — subie ? consentie ? — a pour conséquence “ une
conscience malheureuse qui vit difficilement l'incorporation de la
société antillaise aux institutions de la France
métropolitaine ” (p. 10). En
référence aux travaux de Pierre Nora, l'auteur pose alors
le diagnostic d'un conflit fondamental entre
“ histoire ” et “
mémoire ” qui, sous des formes variables, traverse la
période analysée et devrait, selon toute
probabilité, persister : “ le
devoir de mémoire a de beaux jours devant lui, la division des
ethnoclasses servant à l'entretenir et à préserver
les conflits historiques sans espoir de résolution ” (p. 318).
Rigoureusement
appuyée sur une connaissance approfondie de la
littérature des îles, l'ouvrage de l'universitaire
américain propose un parcours original et stimulant. On peut
cependant regretter qu'il sous-estime la capacité de la
littérature à transcender, sans les ignorer, les
contingences historiques, sociales ou politiques
— Césaire ou Glissant peuvent rencontrer Saint-John Perse au-delà de tout ce qui distingue les ethno-classes
auxquelles ils appartiennent de fait. Enfin les très pertinentes
questions que posent l'ouvrage sont parfois banalisées par le
ton péremptoire et réducteur de certaines réponses.
(1) | Albert James Arnold (ed.), « A history of literature in the Caribbean » 3 volumes , 1994-2001 | |
SOMMAIRE (résumé) |
Introduction
Première partie FORMATION DE L'IMAGINAIRE ANTILLAIS
Prologue
Questions de méthode À l'époque du Code Noir Le Flibustier tous azimuts Une scène fondatrice du discours identitaire : la Pariade Institutionalisation de la mémoire
De la violence
De la créolisation De l'Apocalypse et de la “ révolution ” Des géographies imaginaires et des images persistantes De la Révolution de Saint-Domingue De Toussaint Louverture : une figure emblématique
Deuxième partie ÉLÉMENTS DU DILEMME
De l'institution littéraire et du détournement mémoriel
Le Saint-Pierre de Lafcadio Hearn : un lieu de mémoire paradoxal De la supercherie et de “ l'authenticité ” Fanon chez l'Oncle Sam : des révolutionnaires noirs aux féministes blanches Un roman colonial au service du féminisme anglo-américain
Langue et géographie devant l'histoire et la mémoire
Langue créole, langue française Variations sur le conte créole Géographie symbolique et Imaginaire
Troisième partie SORTIR DE L'IMPASSE ?
Négritude, créolité, créolisation
Négritude : d'une Afrique utopique à l'Afrique décoloniale La créolité : théorie et pratique Points d'appui historiques Vers la créolisation
Vers une créolisation au féminin en Guadeloupe
Deux faces d'une même culture ? L'illusion de la racine unique Une vision diasporique La réécriture de la culture dominante Une créoliste guadeloupéenne : Gisèle Pineau Vers une créolisation par le bas : Dany Bébel-Gisler
Épilogue
Bibliographie (pp. 319-341) Index |
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EXTRAIT |
L'idée
de réécrire l'histoire littéraire du point de vue
de l'ex-colonisé remonte aux années 1950 dans la
Caraïbe. Lié à la lutte pour l'indépendance
dans les îles anglophones, la réécriture aux
Antilles Françaises devait nécessairement interroger la
mue récente des colonies en départements d'outre-mer.
Dans “ L'Appel ” et ” Le
Voyage ” des Indes, 1955,
Glissant a campé un Christophe Colomb face au destin futur des
Indes Occidentales. Son écriture rappelle, à ce stade de
son évolution poétique, celle de Saint-John Perse, le
maître de l'épopée en français
à cette date. Le jeune Glissant devait se mesurer à
l'illustre représentant de l'impérialisme afin de trouver
sa voix et son attitude propre. Sur l'île voisine à la
même époque, le Saint-Lucien Derek Walcott a dû se
libérer du poids écrasant de T.S. Eliot dans un effort
pour “ élargir les paramètres de la
tradition ”. Un certain nombre de figures littéraires
illustres se sont rapidement dégagées pour leur lien
— réel ou imaginaire — avec la
Caraïbe. Si Christophe Colomb revient fréquemment comme
symbole de la conquête qui a rapidement suivi la
découverte des Amériques par l'Europe, c'est Caliban qui
a tenu le haut du pavé pendant un demi-siècle. Du
Guyanais ex-britannique G. Lamming au Martiniquais A. Césaire,
en passant par le Cubain Fernández Retamar, l'écrivain
caribéen s'est souvent situé par rapport à La Tempête
de Shakespeare afin d'articuler sa revanche sur la culture de la
puissance dominante (1). Vers le milieu des années 1980, Maryse
Condé a rejoint cette tradition, dans le monde anglophone et
surtout dans la littérature en simili (2) des cours
universitaires.
☐ Troisième Partie, La réécriture de la culture dominante, p. 287
(1) | - George Lamming, « The pleasures of exile », London : Michael Joseph, 1960
- Aimé Césaire, « Une tempête », Paris : Seuil, 1969
- Roberto
Fernández Retamar, « Calibán : apuntes
sobre la cultura en nuestra América »,
México : Ed. Diógenes, 1971
- Maryse Condé (dir.), « L'héritage de Caliban », Pointe-à-Pitre : Jasor, 1992
| (2) | Littérature en simili :
notion présentée et illustrée par Pierre Bourdieu
; cf. “ Le marché des biens
symboliques ”, L'Année sociologique, t. 3, n° 22, 1971 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Albert James Arnold (ed.), « A
history of literature in the Caribbean, Vol. 1 : Hispanic and
francophone regions », Amsterdam, Philadelphia : John
Benjamin, 1994
- Albert James Arnold
(ed.), « A history of literature in the Caribbean,
Vol. 2 : English and Dutch-speaking regions »,
Amsterdam, Philadelphia : John Benjamin, 2001
- Albert
James Arnold (ed.), « A history of literature in the
Caribbean, Vol. 3 : Cross-cultural studies »,
Amsterdam, Philadelphia : John Benjamin, 1997
- Albert
James Arnold (dir.), « Aux quatre vents de la
Caraïbe », Paris : Les Éd. de Minuit
(Critique, 711-712), 2006
- Albert
James Arnold, « Aimé Césaire :
genèse et transformations d'une poétique »,
Würzburg : Königshausen & Neumann, 2020
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- Aimé Césaire,
« Poésie, théâtre, essais et
discours » éd. critique sous la dir. de Albert James
Arnold, Paris : CNRS éditions, Présence africaine (Planète libre, 4), 2013
- Aimé
Césaire, « The complete poetry of Aimé
Césaire » bilingual edition translated by A. James
Arnold and Clayton Eshleman, Middletown (Connecticut) : Wesleyan
university press, 2017
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mise-à-jour : 23 février 2021 |
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