Riccardo Pineri

Chroniques du temps volé

'Api Tahiti

Papeete, 2014

bibliothèque insulaire

   
édité à Tahiti
parutions 2014
Chroniques du temps volé / Riccardo Pineri ; avec des ill. par Paul Klee, Andreas Dettloff, Adriaan Herman Gouwe, Eric Ferret et Paskua. - Papeete : 'Api Tahiti, 2014. - 157 p. : ill. ; 22 cm.
ISBN 978-1-500-78790-5
Si toutes les cultures possèdent un mode particulier de se référer au monde, un « style » singulier qui fait la richesse et la diversité des constructions humaines de la société, elles ne peuvent comprendre ce fond spécifique qu'à travers son autre, par la confrontation avec l'altérité.

Tempo rubato, p. 110

Ces chroniques proposent, à première lecture, des scènes et tableaux de la vie en Polynésie française — à Tahiti, aux Îles-sous-le-Vent, aux Australes, aux Marquises. Chant nocturne des coqs qui semblent interpeller les étoiles ; parties de pêche ; rencontres autour d'un repas ; errances au gré de routes criblées de nids de poule ; traversées d'île en île en goélette. Sons, odeurs et couleurs.

Mais comme l'indique une courte notice biographique au terme du recueil, l'auteur qui a enseigné la philosophie et la littérature a toujours mis au cœur de ses recherches l’interrogation sur « la rencontre des écrivains et des peintres occidentaux avec la Polynésie ». Très naturellement, les chroniques s'inscrivent dans la continuité de cette démarche, soit qu'elles la prolongent par d'autres voies, soit qu'elles tentent d'ouvrir le partage de réflexion au-delà d'un cercle trop étroitement académique. C'est aussi l'occasion, en évoquant — en prise avec la vie — les œuvres de Gauguin et surtout d'Adriaan Gouwe, de rendre un amical hommage à d'attachants pionniers du dialogue entre l'Occident et la Polynésie, d'un bord ou de l'autre : le père Patrick O'Reilly, Gilles Artur ou Francis Sanford.

Au fil de ces six chroniques, Riccardo Pineri exprime son ardente attente d'une rencontre — qu'il sait riche de promesses mais toujours menacée par le choc en retour d'une histoire contrastée où les fautes de la colonisation portent les fruits amers d'un « ressentiment identitaire » avivé, comble d'ironie, par les tenants (souvent occidentaux) d'une anthropologie réductrice plus soucieuse d'une prétendue pureté des origines que du jaillissement de la vie — tissage d'échanges, d'emprunts, de transformations.

NOTE DE L'ÉDITEUR : Le tableau de couverture de ce recueil de nouvelles insulaires est Insula Dulcamara (1938) de Paul Klee. Initialement intitulé L'île de Calypso, il résume dans ses signes formels épurés (le serpent qui entoure un visage hagard, des signes de la calligraphie arabe, des baies disséminées de la plante toxique Solanum dulcamara), le mirage doux et amer de l'origine qui a présidé à la découverte, depuis plus de deux siècles, des Mers du Sud de la part des voyageurs occidentaux. La figure un peu floue du spectateur dans un musée veut montrer le regard de l'homme contemporain, indécis entre la hâte de l'approche qui jette un rapide coup d'œil sur la réalité et la fuite devant les images du monde, craintif de la force d'éveil de l'œuvre d'art. Ces nouvelles essaient, comme la peinture en général, de s'attarder devant la présence énigmatique des choses, au lieu de cligner simplement des yeux.
EXTRAITS
Avec quelques tableaux d'Adriaan Gouwe et de Jean Masson, peintres ayant vécu à Tahiti, des tableaux de Capogrossi aux motifs polynésiens, il avait trouvé l'interlocuteur de taille dans un tableau de Nicolas de Staël consacré au paysage d'Agrigente. Il disait que c'était là, dans la lumière si prégnante de la Polynésie, que l'on pouvait véritablement comprendre la lumière spirituelle et tempérée de la Méditerranée.

Au chant du coq, pp. 20-21
[Un des tableaux d'Adriaan Gouwe] représentait la passe qui conduisait au quai de Vaitape, avec le grand morne qui dominait l'île par un après-midi d'orage et le ciel qui pesait lourdement sur l'île, déchiré par endroits d'éclats du soleil. Au premier plan, les eaux tourbillonnantes du lagon étaient chargées des rayons du soleil qui laissaient peu à peu la place aux tumultes de la tempête. Au milieu de ce contraste des éléments, un oiseau planait librement dans la partie gauche inférieure du tableau. « C'est l'autoportrait du peintre », dit Sanford, « la preuve de la sérénité au milieu du chaos des éléments, jouant avec le vent qui le porte ». Il avait exactement saisi le sens de cette composition autour de la double centralité de la nature polynésienne, fait de permanents contrastes entre lumière et obscurité, ici représentée par la lourdeur plombée du ciel d'orage et les joyaux étincelants des couleurs du lagon.

Gouwe roman, pp. 80-81
La pêche au mahi mahi s'apparente plutôt à une chasse à cheval sur l'étendue marine, au milieu des vagues que le bateau affronte et brise, dans la poursuite du poisson qui reste à la surface jusqu'à l'épuisement de ses forces au lieu de sonder comme d'autres créatures marines. À ce moment, la foène du pécheur aux pointes acérées frappe la bête qui est récupérée à bord par un long filin. C'est alors que commence l'agonie où le corps du poisson passe du jaune brun au bleu nuit, avec des étoiles de pigmentation qui vont du rouge au vert, au noir. Une symphonie de couleurs semble célébrer l'événement mystérieux de la mort, les nageoires dorsales évoluent du bleu vert au bleu pâle, avant de prendre la coloration définitive jaunâtre et opaque.

Les couleurs de Tubuai, p. 139
La baie était un parfait demi-cercle et au couchant flamboyant la vallée prenait les teints d'émeraude et de cuivre, pendant qu'une plénitude silencieuse, une oppressante beauté s'étalaient sur les lieux. Les nuages qui se rassemblent autour des pics escarpés donnaient une tonalité obscure au vert intense de la végétation, la même qui informe toute la peinture de Gauguin aux Marquises. À proximité de l'équateur, le soleil qui tombe presque à la verticale sur les visages et les choses, crée une zone d'obscurité, une lumière sombre des fourrés et des paysages marquisiens, un bleu froid des cimes, d'où la tonalité particulière que Gauguin a si bien saisie, donnant une note de tristesse à sa peinture, si différente de l'éclat des couleurs de la période de Tahiti.

Dans le silence de la mer atone, p. 152
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE

mise-à-jour : 5 février 2015
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