Les
enfants de Caïn / Louis Roubaud. - Paris : Bernard
Grasset,
1925. - 239 p. ; 19 cm. - (Les Cahiers
verts, 49).
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Ces
écoles professionnelles sont tout simplement
l’école du bagne.
☐ Louis Roubaud, à propos des colonies pénitentiaires pour enfants |
Louis
Roubaud (1884-1941) doit à Octave Mirbeau sa
première
publication : un conte ; mais c'est dans le journalisme
d'enquête
qu'il trouvera au mieux à s'exprimer 1.
Il s'est intéressé successivement aux
hôpitaux
psychiatriques, au bagne de Guyane, à la haute couture,
à
la politique coloniale et, en 1939, publiera le témoignage
d'un
rescapé des camps : « J'arrive de
l'enfer », la vie dans un camp
d'Israélites en Allemagne.
En 1924, il enquête sur les colonies
pénitentaires pour mineurs et conclut son
reportage sans équivoque : « Je
sais bien que les mots maisons
correctionnelles ont été
effacés sur les murs. Il faut maintenant raser les
murs » 2.
Dans les années qui suivent la parution de ce
témoignage
saisissant des amendements sont apportés au cadre
régissant les colonies pénitentiaires, mais ils
sont de
pure forme et sans véritable effet positif 3.
Les
changements décisifs n'interviendront qu'après la
Libération en 1945. L'établissement de Belle-Ile
change
alors de statut, ses objectifs sont redéfinis mais il ne
ferme
définitivement qu'en 1977.
1. |
Pour
plus d'information, lire l'article de Frédérique
Roussel : « Louis Roubaud : la folie de
l'enquête », Libération, 4-5
mars 2017 (pp. 43-45) |
2. |
« Les enfants de
Caïn », p. 214 |
3. |
➝ Jacques
Bourquin, « Une maison de
correction », Revue
d’histoire de l’enfance
« irrégulière »
[en ligne],
Hors-série | 2007 |
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EXTRAIT |
Le Palais (Belle-Ile-en-Mer), septembre [1924]
La
presqu’île de Quiberon si mince entre la baie
d’un
bleu méditerranéen et
l’océan glauque,
s’arrête là.
Il faut prendre, avec trois cents excursionnistes à kodaks,
un petit remorqueur.
Quiberon
s’estompe, Belle-Île se dessine. Les deux
minuscules phares
du Palais sont blancs comme des pains de sucre, la forteresse
renfrognée écrase la ville proprette.
Il faut
d’abord escalader la forteresse par un raidillon, dans un
petit
bois, jusqu’au glacis. Un portail large ouvert, au cintre
duquel
est inscrit « Colonie Agricole et
Maritime » vous
laisse entrer et sortir librement par un jardin fleuri.
C’est charmant !
Des murs illusoires à cette prison ; mais le grand
fossé de la mer …
— Ici, me dit M. Marquette, nos enfants peuvent se
croire libres.
Le
mirage est excellent jusqu’au jour où un esprit
positif le
veut transformer en réalité …
L’île n’a que vingt kilomètres
en longueur, du
fort Sarah-Bernhardt à Locmaria, et huit en largeur, du
Palais
à Kervilahauen. Ce n’est pas beaucoup.
Alors il faut aller à Sauzon ou à Palais voler un
canot …
Gilibert
et Soulier gardaient le troupeau de la ferme … pas
de
surveillant … c’est le soir. Il suffit de
planter
là les vaches et les moutons et de se cacher sous un rocher
à la pointe des Poulains. Au petit jour, demain on avisera.
Et
le lendemain, les petits bergers frêtent un canot, ils ne
savent
pas manœuvrer la voile, mais ils saisissent chacun une
rame … On a une boule de pain, une bouteille
d’eau et
un peu de tabac à chiquer … adieu
vat !
C’est presque gai d’abord, le soleil se
lève, la
brume masque les côtes. Quiberon est là-bas.
On en a plein les bras, et si l’on se repose, on
dérive …
Le
frêle canot arrive pourtant le lendemain sur une petite plage
autour de Portivy … mais il a fallu se jeter
à
l’eau. Gilibert ne sait pas nager, il barbotte un peu, veut
saisir Soulier qui se dégage et
disparaît … On
a trouvé quelques jours après, dans une anse de
Saint-Pierre, son corps déchiré par les rocs.
Et
Soulier s’est fait reprendre à Carnac, aux
« Alignements », dans
l’armée
fantomatique des soldats pétrifiés qui dorment
debout
depuis si longtemps sur la dune.
Une autre fois, deux autres
petits … C’est à peu
près la même
histoire … Mais on les a retrouvés tous
deux
évanouis, en mer, à l’ouest de
l’île,
au fond du canot qui faisait eau …
Une autre fois …
Le fossé bleu est toujours
infranchissable … On ne
s’évade pas de Belle-Ile.
☐ Belle-Ile,
pp. 87-90 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
colonies
pénitentiaires et bagnes pour enfants |
- George
Cadwalader, « Castaways : the
Penikese island experiment », White River
Junction (Vermont) : Chelsea Green publishing, 1988
- Alexis
Danan, « L'épée
du scandale », Paris : Robert
Laffont, 1961
- Nicolas
Chaudun, « L'île
des enfants perdus », Arles :
Actes sud, 2019
- Jean Fayard,
« Une enfance en enfer », Paris : Le Cherche Midi,
2003
- Jean-Claude
Gritti, « Les
enfants de l'île du Levant »,
Paris : JC Lattès, 1999
- Jacques
Prévert, « Chasse
à l'enfant » in Paroles, Paris :
Gallimard (Folio), 2004
- Daniel Robb,
« Crossing the
water : eighteen months on an island working with troubled boys »,
New York : Simon & Schuster, 2001
- René
Santoni, « La
colonie horticole de Saint-Antoine »,
Ajaccio : chez l'auteur, 2008
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mise-à-jour : 13 avril 2020 |
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