Histoire
merveilleuse de Pierre Schlémihl, ou L'homme qui a vendu son
ombre / Adelbert von Chamisso ; traduction nouvelle, suivie
d'un Choix de
poésies
par Auguste Dietrich ; ill. de Henri Pille. -
Plan-de-la-Tour : Ed. d'Aujourd'hui, 1982. -
254 p. :
ill. ; 21 cm. - (Les Introuvables).
ISBN 2-7307-0196-6
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AUGUSTE
DIETRICH
: […]
Le chef-d'œuvre narratif de notre écrivain est son
poème de Salas
y Gomez, composé en 1828, et dont il avait
conçu l'idée au cours de son voyage 1.
Le sujet en est aussi simple qu'émouvant. Un vaisseau a fait
naufrage dans une île de l'océan
Pacifique ; un
passager échappe seul et aborde à un rocher
solitaire et
désolé où il attend d'instant en
instant qu'un
navire vienne le recueillir. Cette situation rappelle, on le voit,
celle du Philoctète
de Sophocle et du Robinson
de Daniel de Foë. Constamment trompé dans son
attente,
l'infortuné vit dans ce triste état durant une
période de temps qu'il ne peut évaluer, mais qui
dépasse bien plus d'un demi-siècle. Enfin, un
jour, un
navigateur — Chamisso
lui-même — parvient
par hasard jusqu'à son sinistre refuge ; mais il
est trop
tard : le vieillard expire presque aussitôt, en
livrant
à la curiosité émue de son visiteur et
des
compagnons de celui-ci le récit de son
épouvantable
aventure, retracé par lui sur trois tablettes d'ardoise.
[…]
☐
Adelbert de Chamisso, sa vie et
ses œuvres 2 — pp. LXV-LXVI
1. |
Entre
1815 et 1818, Chamisso participe en qualité de botaniste
à l'expédition autour du monde dirigée
par Otto
von Kotzebue, à bord du brick Rurik. Salas y
Gomez est en vue le 25 mars 1816. Chamisso y fait allusion en trois
occasions ; dans les Remarques
et idées
qui constituent sa contribution personnelle à la relation
officielle de l'expédition (1819) ; dans le
poème
(1829) ; dans son récit de voyage
personnel rédigé durant l'hiver 1834-35 (quelques
lignes). |
2. |
L'éditions
originale du recueil (Paris : Louis Westhausser, 1888)
s'ouvrait
sur cette introduction du traducteur qui n'a pas
été
reprise dans l'édition en fac-simile de 1982. |
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Les commentateurs du
poème de Chamisso ont signalé des filiations
souvent évidentes — avec Robinson Crusoe
par exemple, ou avec l'œuvre de Johann Gottfried Schnabel.
On a également noté que Chamisso
n'était pas seul
de sa génération en Allemagne à avoir
fait une
place au thème insulaire dans sa
poésie : c'est
également le cas pour Eichendorff, Heine, Hoffmann, Hölderlin,
Jean-Paul, Mörike,
Novalis et d'autres.
Cette mise
en perspective éclaire convergences ou
divergences dans les visées des auteurs et dans leur
traitement du
thème. Elle trouve sa limite dans la mesure où
Chamisso
est seul à parler d'expérience : lors de
son tour du
monde à bord du Rurik,
il est passé au
vent de Salas y Gomez, a pu constater l'extrême
dénuement de l'île et son éloignement
du monde des hommes 1 ;
il a pu méditer sur ce qu'impliquerait réellement
de se
retrouver seul en un tel lieu après un naufrage
— allant jusqu'à relever l'horreur
supplémentaire de pouvoir y trouver de quoi ne pas mourir de
faim : les œufs des oiseaux 2
seuls habitants de ce roc stérile.
Le
sens du poème et sa portée sont
profondément
marqués par l'expérience vécue d'une
navigation au
long cours — et par l'oppressant souvenir de cette
rencontre.
1. |
Salas
y Gomez est un roc d'une quinzaine d'hectares dont le point culminant
n'est pas à trente mètres du niveau de
l'océan ; rien n'y pousse ; la terre
habitée la
plus proche est l'île de Pâques à
près de 400
kilomètres. |
2. |
« On assure avoir
trouvé près de Salas y Gomez
les vestiges d'un vaisseau naufragé ; nous les
guettâmes en vain. On frémit en imaginant la
possibilité qu'un être humain vivant y ait
été rejeté ; car les
œufs des oiseaux
de mer n'auraient que trop bien suffi à prolonger sa
misérable vie perdue entre ciel et mer sur ce rocher nu et
brûlé de soleil. » Remarques et idées
— extrait cité en note (p. 110)
dans le Voyage autour du monde
(José Corti, 1991). |
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INCIPIT |
Salas
y Gomez surgit hors des flots de l'Océan
Pacifique ; rocher
aride et nu, calciné par les rayons verticaux du soleil,
piédestal de pierre sans herbe ni mousse où
viennent se
reposer par bandes les oiseaux fatigués de planer au-dessus
de
la mer sans cesse en mouvement.
☐ p. 206 |
… dans
le texte original :
Salas y Gomez
raget aus den Fluten
Des stillen Meers, ein Felsen kahl und
bloß,
Verbrannt von scheitelrechter Sonne Gluthen,
…
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Salas
y Gomez », Musenalmanach
für das Jahr 1830, [Leipzig, 1829] pp. 23-38
|
- « Salas
y Gomez » in Histoire
merveilleuse de Pierre Schlémihl, ou L'homme qui a vendu son
ombre, suivie d'un Choix
de poésies
et précédée d'une étude par
Auguste
Dietrich, avec 106 dessins de Henri Pille, Paris : Louis
Westhausser, 1888
|
- «
Salas y Gomez » trad. par Nicolas Martin, Revue française, 84,
20 mai 1857, pp. 143-150
- «
Salas y Gomez » trad. par Mme Bachellery, in Pierre Schlémihl, ou
L'homme qui a perdu son ombre [suivi d'un] Choix de poèmes,
Paris : Librairie des bibliophiles, 1887
- «
Salas y Gomez » in Choix de poésies trad.
par René Riegel,
Paris : Aubier (Collection
bilingue des classiques étrangers, 1949
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- René-Marc
Pille, « Une robinsonnade funèbre : le
poème de Chamisso Salas
y Gomez », in L'île territoire
mythique, études
rassemblées par François Moureau,
Paris : Aux
amateurs de livres, 1989 — pp. 149-156
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mise-à-jour : 3 mai
2018 |
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