De
Venise à Venise, Dorsoduro / P. M.
Pasinetti ;
trad. de l'italien par Soula Aghion. - Paris : Liana Levi,
2019. -
461 p. ; 18 cm. - (Piccolo, 20).
ISBN 979-10-349-0073-2
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| Mon
récit … quoi qu'il puisse raconter, sera en
définitive par-dessus tout l'histoire de Giovanna..
☐ p.
14 |
Ce
sera donc, “ par dessus tout ”
l'histoire d'une
jeune fille dans un quartier de Venise “ vers les
années 1926-1929 ”. Tout au long du
récit
Giovanna est au premier plan et prend la lumière
— “ un être serein,
rayonnant d'une joie
tranquille et profonde ” (p. 74) ;
Giovanna qui
vous regarde “ avec ces yeux qui, tout en ne faisant
rien de
particulier, donnaient une secousse vertigineuse à faire
battre
le cœur ” (p. 144) ;
Giovanna dans
“ la lignée des femmes
vénètes
qui … avaient dirigé, et dans un certain
sens
inventé, leurs hommes, mettant au jour et suscitant en eux
des
étincelles vitales ” (p. 304).
Giovanna n'a que
treize ans à l'ouverture du roman, presque une
enfant …
Dans la lumière de
Giovanna, Pasinetti évoque une famille et ses proches dans
le sestiere
de Dorsoduro à Venise où l'on a
“ toujours eu
coutume d'accueillir un pot-pourri bigarré de gens et de
situations de toutes provenances, et de les
assimiler ”
(p. 10). Mais l'ombre gagne et le fascisme exerce une emprise
croissante sur cette bourgeoisie charmante et
privilégiée.
Giovanna
comme Alvise son père est du petit nombre de ceux qui
résistent discrètement mais fermement, au point
que
“ volontairement et de manière
incompréhensible [ils] s'excluent ”
(p. 231)
— Giovanna rayonne et son père fait un
pas de
côté, sans renoncer quand l'occasion s'en
présente
à tancer l'un de ses proches ostensiblement
caporalisé : “ Vous
êtes aussi un faible
et il vous manque … il vous manque la force de la
gentillesse ” (p. 160).
P. M. Pasinetti, né
à Venise en 1913, ne cessera jamais d'y vivre même
quand il demeurera ailleurs … Nommé
professeur de littérature à l'UCLA
en 1949, après une carrière universitaire nomade,
il fera de constants
allers-retours entre Los Angeles et la ville de son enfance. Celle-ci
est la toile de fonds de tous ses romans, le cœur de liens
uniques
qu'il met en scène loin des clichés et du
tourisme en notant sur un
petit carnet les répliques inoubliables entendues dans les calli. Elle
est aussi le lieu où il a mené, avec son
frère Francesco, et avec
Antonioni, un travail de scénariste. C'est là que
P.M., comme il aimait
être appelé, meurt en 2006. |
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EXTRAIT |
Une
fois nous tous installés dans la barque, Ponente
cède
sans protester sa rame de poupe à Maurizio ; le
regard de
Giovanna se porte sur la rame de proue posée, inactive, sur
le
bord gauche de la barque ; elle et Maurizio
échangent un
signal. Et parmi une multitude d'autres images restera toujours
gravée dans ma mémoire celle des gestes de
Giovanna qui
saisit l'aviron dans ses petits poings robustes, l'appuyant tout
d'abord contre les marches de la rive pour en éloigner la
barque, la posant ensuite sur le tolet et l'enfonçant
aussitôt de chant vigoureusement. C'était la
première fois que je la voyais ramer et lorsqu'on
connaît
ce type de nage, on sait que Maurizio ne se trompait guère
en
disant là-haut derrière nous :
“ Moi je
suis le gouvernail, la vraie force de propulsion c'est Giovanna qui la
donne ”, mais ce qu'il en disait n'était
qu'un reflet
de sa joie de voir leurs gestes s'harmoniser aussi parfaitement.
Ponente, accroupi à l'arrière aux pieds de
Maurizio,
débite, satisfait, certaines de ses formules :
“ Le rythme comme la respiration ! Une nage
longue et
moelleuse ! ”
Nous fîmes un grand tour par
les canaux, presque tout le temps en silence : bruissement de
pas,
murmures de voix des Fondamente et des ponts ; au-dessus de
nous,
des visages, des enseignes de boutiques familières, des
accès aux palais du côté de l'eau, des
halls
d'entrée entrevus, des cours avec des chats, on
eût dit
qu'Edoardo buvait des yeux ces visions du cœur de la ville,
“ Je suis venu avec le vaporetto et suis descendu
à
la Ca' d'Oro, c'est mon premier tour en barque après tant de
mois ”, et il nommait les canaux un à un,
le Rio di
San Giovanni Grisostomo, le Rio dei Miracoli, le Rio della Fava, le Rio
dei Bareteri, le Rio dei Scoacamini, le Rio dei Fuseri, les
reconnaissant tous et les saluant comme des amis qu'on retrouve avec
plaisir, et il n'est pas impossible qu'aux trois derniers sa
pensée se soit tournée vers les bonnes
âmes
séculaires des artisans et des marchands qui leur
léguèrent leurs noms ; puis ce fut le
Rio Menuo ou
della Verona et ainsi nous débouchâmes dans le
Grand Canal
par le Rio di Sant'Angelo et comme nous naviguions plus au large, que
les voix et les bruits autour de nous s'étaient
estompés,
Bialevski recommença à parler de sa
manière
théâtrale.
☐ pp. 190-191 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Dorsoduro
», Milano : Rizzoli (La Scala), 1983
- « De
Venise à Venise, Dorsoduro » trad. de
l'italien par Soula Aghion, Paris : Liana Levi, 1984,
2003 ; Paris :
Union générale
d'éditions (10/18, 2418), 1993
|
- «
Rouge vénitien », Paris : Albin
Michel, 1963, 1990
- « Le
sourire du lion », Paris : Albin Michel,
1965
- «
Le pont de l'Accademia », Paris :
Calmann-Lévy, 1970
- «
Demain, tout à coup », Paris : Liana
Levi, 1986
- «
Partition vénitienne », Paris :
Liana Levi, 1993 ; Paris :
Union générale d'éditions (10/18,
2949), 1998
- «
Petite conversation vénitienne »
entretien avec Jean-Marie Planes, Bordeaux : Confluences, 1996
- «
Petites Vénitiennes
compliquées », Paris : Liana
Levi, 1996
- «
A propos d'Astolfo », Paris : Ed. du Revif,
2006
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mise-à-jour : 28
février 2019 |
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