Umberto Eco

L'île du jour d'avant

Librairie générale française - Le Livre de poche, 14361

Paris, 1998
bibliothèque insulaire
   
utopies insulaires
îles désertes
parutions 1998
L'île du jour d'avant / Umberto Eco ; traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano. - Paris : Librairie générale française, 1998. - 504 p. ; 18 cm.
ISBN 2-253-14361-8
Seul survivant d'un naufrage en plein Pacifique, Roberto de la Grive trouve un refuge inespéré sur un navire abandonné à quelques encablures d'une île qui semble inaccessible. Confiné à bord, il y découvre un compagnon de fortune — ce n'est pas Vendredi, mais Caspar Wanderdrossel, jésuite fantasque pétri d'érudition. Du dialogue entre les deux rescapés émerge une hypothèse : partis d'Europe à la découverte des îles de Salomon, Roberto à bord de la Daphne, Caspar à bord de l'Amaryllis, tous deux ayant perdu leur route, le hasard les a réunis aux antipodes près de la ligne de partage du temps, le 180e méridien qui coupe la mer entre leur navire et l'île voisine — quand à bord c'est aujourd'hui, sur l'île offerte à leurs yeux c'est toujours hier. L'aventure se déroule en 1643, et cet implacable constat bouscule les certitudes de deux hommes qui ne manquent pas de temps pour tourner et retourner les tenants et aboutissants de leur inconfortable situation.

Autour de ce noyau, le roman explose en tous sens, brassant allègrement références et allusions au bouillonnement culturel de l'Europe du XVIIe siècle, démarquant ou travestissant les récits de voyage (Abel Tasman entre autres), évoquant non sans recul les controverses théologiques, philosophiques ou scientifiques, parodiant les robinsonnades dont pourtant la vogue n'est pas encore répandue, saluant dans la foulée Stevenson … L'île du jour d'avant se prête donc à une multiplicité de lectures ; on peut y relever l'amorce d'un questionnement distancié des rêveries utopisantes. Avant même les naufrages de la Daphne et de l'Amaryllis, des jalons sont posés — les navigateurs partis sur les traces de Mendaña en quête des îles de Salomon rêvent d'Escondida, d'Ophir, de l'Arcadie … ; la Daphne ayant fait relâche à Más Afuera, où « le climat était sain, la végétation luxuriante », on avait émis l'idée que « ç'eût été largesse du sort que de faire naufrage un jour sur ces rivages et y vivre heureux sans plus désirer le retour dans la patrie » 1.

Le jeu prend une nouvelle orientation aux abords de l'île 2 où se noue le dialogue entre Roberto et Caspar. Sur le navire immobilisé tout fait référence au monde quitté : l'Europe, son histoire, ses croyances, ses religions, ses ambitions. Cet univers mental qui hante l'esprit des survivants fait écran à la réalité environnante, d'autant que les mots s'avèrent impuissants à rendre compte de l'inconnu 3. De part et d'autre du 180e méridien se font face deux mondes — le navire et ses deux passagers installés dans un présent apprivoisé tant bien que mal, l'île exotique irrémédiablement enclose dans un passé révolu. L'élan utopique tendu vers l'avenir ne trouve ici comme perspective qu'un espace où tout est déjà advenu. Pourtant, après le décès de Caspar, Roberto tentera de surmonter la contradiction, dans la quête d'une ultime utopie, au prix d'une vraie renaissance.
       
1. Umberto Eco s'amuse à prendre à rebours le témoignage d'Alexander Selkirk, recueilli sur cette même île en 1708 après un séjour solitaire forcé de plus de quatre ans ; l'épisode constitue la principale source d'inspiration de Robinson Crusoe.
2. « La Daphne se serait trouvée aux Fidji (…), juste sur le point où passe aujourd'hui notre cent quatre-vingtième méridien, c'est-à-dire à l'île de Taveuni » (ch. 21).
3. « … ce paysage, que Roberto ne sait décrire parce qu'il le voit pour la première fois, et qu'il ne trouve pas d'images dans sa mémoire pour le traduire en mots … » (ch. 32)
EXTRAIT    Si l'Ile s'élevait dans le passé, elle était le lieu qu'il devait à tout prix atteindre. En ce temps hors des gonds, il devait non pas trouver mais bien inventer de nouveau la condition du premier homme. Non point séjour d'une source de l'éternelle jeunesse, mais source elle-même, l'Ile pouvait bien être le lieu où chaque créature humaine, oublieuse de son propre savoir étiolé, trouverait, tel un enfant abandonné dans la forêt, une langue neuve capable de naître d'un contact neuf avec les choses. Et avec lui naîtrait l'unique vraie et nouvelle science, de l'expérience directe de la nature, sans qu'aucune philosophie l'adultérât (comme si l'Ile n'était pas le père, qui transmet au fils les mots de la loi, mais la mère, qui lui apprend à balbutier les premiers noms).

ch. 27
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « L'isola del giorno prima », Milano : Bompiani, 1994
  • « L'île du jour d'avant », Paris : Grasset, 1996
  • « Pourquoi l'île n'est jamais trouvée », in Construire l'ennemi, et autres écrits occasionnels, Paris : Grasset, 2014
  • « Au nom du sens : autour de l'œuvre d'Umberto Eco » actes du Colloque de Cerisy (29 juin-9 juillet 1996) éd. par Jean Petitot et Paolo Fabbri, Paris : Grasset, 2000

mise-à-jour : 20 février 2016
Romancier, penseur, enseignant, …
Umberto Eco est mort à Milan le 19 février 2016 à l'âge de 84 ans.
Umberto Eco : L'île du jour d'avant
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