JACQUES THIERS : A propos de « A
Barca di a Madonna » … — C'est d'abord
comme c'est souvent le cas en littérature, une fulguration,
une image insaisissable longtemps et qui un jour découvre
un pan de mémoire enfoui, et ramène des impressions,
des souvenirs, des sensations, créant aussi toutes les
conditions favorables à l'essor de l'imagination. Un souvenir
personnel en effet que l'image d'une Madonne à l'Enfant
Jésus, toute blanche, juchée sur une barque glissant
sur une marée humaine. De tous les villages à l'entour
on s'était massé près de la croix de Santa
Lucia pour saluer Notre-Dame de Boulogne en procession solennelle
en Corse d'avril 1947 à janvier 1948.
[…]
A Barca di a Madonna a été publié […]
en mars 1996. Or j'ai eu la surprise de voir Grasset sortir en
août La Vierge
du Grand Retour de Raphaël Confiant, le romancier
martiniquais et francophone. […] [Le] livre de Confiant retentit
de la clameur qui annonce, entoure et suit l'arrivée de
Notre-Dame de Boulogne devenue Notre-Dame du Grand Retour dans
la France. C'est la voix multiple et contradictoire du peuple
martiniquais qui monte autour de la Vierge, dans la période
de l'après-guerre et de la décolonisation.
C'est un roman admirable, par
la peinture variée des caractères et l'art des
portraits. Mais il y a surtout une esthétique luxuriante
et baroque, un rythme et une verve assurée par une langue
libre, inventive et qui joue de toutes les ressources. Un livre
virtuose. Quant à la similitude de l'époque et
de la thématique religieuse, plus que d'une coïncidence,
je parlerais d'une concomitance d'imaginaires et d'émotions.
Le rapprochement n'est pas fortuit. Il y a dans ce grand évènement
religieux une atmosphère qui fascine et qui étonne
notre sensibilité et notre esprit critique de modernes.
[…]
Mais ces aspects spectaculaires
ne sont pas tout. Il y a d'autres motivations pour deux écrivains
insulaires, issus de communautés typées et soumises
dans leurs histoires respectives à des modes de penser
et de croire venus des centres dont les cultures dominées
dépendent. […] Même si ce n'est pas la visée
première de l'auteur, on peut dire qu'à travers
la peinture des réactions psychologiques et de la folle
espérance des Martiniquais La Vierge du Grand Retour
note une préoccupation sociale et identaire éminente.
En Corse le séjour de
la Vierge du Grand Retour a duré d'avril 1947 à
janvier 1948. Outre la différence des cultures, il a dû
avoir une portée idéologique notable.
[…]
☐ « A propos d'écritures »,
Méditerranéennes,
n° 12 | été 2001 | pp. 107-108
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