L'envers et l'endroit / Albert
Camus. - Paris : Gallimard, 1994. - 119 p. ;
18 cm. - (Folio-essais, 41).
ISBN
978-2-07-032368-5
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“ L'envers
et l'endroit ”, édité par
Edmond Charlot
(Alger, 1937), est le premier livre d'Albert Camus. En acceptant de le
rééditer (en 1958, deux ans avant sa mort
accidentelle),
l'auteur souligne l'empreinte laissée par les
émotions
qui sont à la source de cet essai sur la forme duquel il
portait un jugement sévère : “ si j'ai beaucoup marché depuis ce
livre, je n'ai
pas tellement progressé ” 1 ;
constat qu'il précise plus loin : “ rien
n'empêche de rêver (…) qu'une
œuvre
d'homme n'est rien d'autre que ce long cheminement pour retrouver par
les détours de l'art les deux ou trois images simples et
grandes
sur lesquelles le cœur, une première fois, s'est
ouvert ” 2.
Parmi
les images recueillies
dans ce livre inaugural, celles que relatent “ Amour
de
vivre ” proviennent de Majorque et d'Ibiza
où Camus
pouvait se sentir en terre familière
— “ j'aime la maison nue des
Arabes ou des
Espagnols ” 3 —
tout en
goûtant la liberté du voyageur
— “ le lieu où je
préfère
vivre et travailler (et, chose plus rare, où il me serait
égal de mourir) est la chambre
d'hôtel ” 4.
C'est
là qu'il mesure le défi de vivre et
d'aimer — “ il n'y a pas
de limites pour
aimer et que m'importe de mal étreindre si je peux tout
embrasser ” 5 —
et qu'il se
révolte à pressentir l'inéluctable
déclin
de l'émotion qui se fond dans la mémoire (a
fortiori dans
la projet d'écriture) : “ les
mots ne couvriront
pas la flamme de mon regret ” 6.
1. |
Préface,
p. 28 |
2. |
Préface,
pp. 31-32 |
3. |
Préface,
p. 18 |
4. |
Préface,
p. 18 |
5. |
Amour
de vivre, p. 109 |
6. |
Amour
de vivre, p. 109 |
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EXTRAIT |
À
Ibiza, j'allais tous les jours m'asseoir dans les cafés qui
jalonnent le port. Vers cinq heures, les jeunes gens du pays se
promènent sur deux rangs tout le long de la
jetée.
Là se font les mariages et la vie tout entière.
On ne
peut s'empêcher de penser qu'il y a une certaine grandeur
à commencer ainsi sa vie devant le monde. Je m'asseyais,
encore
tout chancelant du soleil de la journée, plein
d'églises
blanches et de murs crayeux, de campagnes sèches et
d'oliviers
hirsutes. Je buvais un orgeat doucâtre. Je regardais la
courbe
des collines qui me faisaient face. Elles descendaient doucement vers
la mer. Le soir devenait vert. Sur la grande face des collines, la
dernière brise faisait tourner les ailes d'un moulin. Et,
par un
miracle naturel, tout le monde baissait la voix. De sorte qu'il n'y
avait plus que le ciel et des mots chantants qui montaient vers lui,
mais qu'on percevait comme s'ils venaient de très loin. Dans
ce
court instant de crépuscule, régnait quelque
chose de
fugace et de mélancolique qui n'était pas
sensible
à un homme seulement, mais à un peuple tout
entier. Pour
moi, j'avais envie d'aimer comme on a envie de pleurer. Il me semblait
que chaque heure de mon sommeil serait désormais
volée
à la vie … c'est-à-dire au
temps du
désir sans objet. Comme dans ces heures vibrantes du cabaret
de
Palma et du cloître de San Francisco, j'étais
immobile et
tendu, sans forces contre cet immense élan qui voulait
mettre le
monde entre mes mains.
☐ Amour de vivre, pp. 107-108 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « L'envers
et l'endroit », Alger : Edmond Charlot,
1937
- « L'envers
et l'endroit », Paris :
Gallimard (Les Essais, LXXXVIII), 1958
- « L'envers et l'endroit », in Œuvres complètes, Vol. 1 : 1931-1944, Paris : Gallimard (La Pléiade, 161), 2006
- « L'envers et l'endroit », in Œuvres, Paris : Gallimard (Quarto), 2013
- « L'envers
et l'endroit » éd. commentée par
Geneviève Winter et Bertrand Leclair, Paris : Gallimard
(Folioplus, Classiques, 247), 2013
|
- « La chute »,
Paris : Gallimard (Folioplus classiques, 125), 2008
- Préface
à : Jean Grenier, Les îles,
Paris : Gallimard
(L'Imaginaire, 11), 1977
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mise-à-jour : 25 mars 2021 |
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