« La
France doit dire qu'il n'est plus possible de collaborer avec
Aristide »
LE FIGARO. — Une nouvelle
fois, Haïti est en proie au désordre et à
la terreur. Comment en est-on arrivé là ?
Jean MÉTELLUS. — Ce qui arrive aujourd'hui est
la continuation de ce qui se passe depuis le retour d'Aristide.
Nous nous sommes trompés, je me suis trompé. J'avais
écrit en 1990 qu'Aristide était le seul homme politique
crédible mais cet homme aujourd'hui n'est plus le même.
Quand il a été renversé par l'armée
et qu'il s'est exilé aux Etats-Unis dans les années
90, il s'est métamorphosé complètement au
point qu'il a demandé et obtenu un embargo sur le pays.
C'était un acte très grave car l'embargo ne punissait
pas les putschistes mais le peuple haïtien. Quand il est
rentré au pays, grâce au soutien des Américains,
ce n'était plus le même homme. J'en veux pour preuve
qu'avant son départ, il signait Aristide Charlemagne Péralte,
associant à son nom celui d'un résistant paysan
qui avait été tué et crucifié par
les Américains en 1919. Quand il est revenu, il a enlevé
cette référence. Il est devenu un homme des Américains,
sans conviction aucune. C'est un analphabète masqué,
un homme qui sait parler plusieurs langues mais ne les utilise
que pour impressionner et tromper le peuple, un conteur qui s'exprime
par métaphore qui ne veulent rien dire.
Paris plaide pour l'envoi d'une force
de paix. Est-ce une bonne solution ?
En tant que descendant d'esclave, cela m'est douloureux de parler
de ça. Toute forme d'intervention militaire étrangère
serait une nouvelle colonisation. Je crois que les grandes puissances
ont les moyens de faire céder ce tyran, de faire pression
pour que ce type cesse de tuer des gens, sans avoir recours à
un embargo ni à une intervention. Il faut mettre en place
des administrateurs civils haïtiens. Il y a des intellectuels
haïtiens, des hommes de valeur qui ont enseigné dans
des universités à Cuba, au Mexique ou en France,
c'est avec eux que nous devons construire un gouvernement de
transition. Si nous ne faisons pas appel à eux, nous courons
à la dérive. Aujourd'hui, j'attends de la France
qu'elle dise qu'il n'est plus possible de collaborer avec Aristide.
Comment peut-on accepter de discuter avec quelqu'un qui a fait
tuer des patients sur leur lit d'hôpital ?
Comment se fait-il qu'Haïti, qui
fut la première nation noire à accéder à
l'indépendance il y a deux cents ans, n'ait jamais réussi
à sortir de la misère et du chaos politique ?
Je ne crois ni à une malédiction ni que les Haïtiens
doivent en être tenus pour responsables. Nous ne sommes
pas les seuls à avoir creusé cette tombe. Nous
avons eu beaucoup de décollages ratés, et souvent
à cause de l'intervention des puissances étrangères.
Je vous citerai deux exemples. Quand Charles X négocia
la reconnaissance d'Haïti, il imposa le paiement d'une indemnité
faramineuse. Contraint d'emprunter, le jeune Etat s'épuisa
tout au long du XIXe siècle à rembourser et ne
put jamais se développer. Le deuxième coup dur
se situe au début du XXe siècle. Après une
période d'instabilité à la tête de
l'Etat, les Etats-Unis en profitèrent pour mettre la main
manu militari sur le stock d'or du pays et placer l'île
sous tutelle pendant 19 ans de 1915 à 1934. Cette tutelle
ne servit à rien, si ce n'est à mettre en place
une armée capable de monter des coups d'Etat.
Vous dites cependant que « 1806
a fait d'Haïti un pays d'hommes concurrentiels ».
Que veut dire cette expression ?
En 1806, Dessalines, ancien esclave, dont le corps conservait
la trace des coups de fouet, devenu premier empereur d'Haïti,
a été assassiné. Quand il a été
tué, tout le monde pensait être chef. C'est encore
ce qui se passe aujourd'hui avec Aristide.
Jean Métellus
propos recueillis par Vianney Aubert
© Le Figaro