6ème édition
du Prix du Livre Insulaire (Ouessant 2004)
Prix « Beaux-Livres » |
Voyages à
l'île Maurice et La Réunion / Jacques-Henri Bernardin
de Saint-Pierre ; textes choisis et présentés
par Élisabeth Audoin ; préface d'Antoine Rufenacht.
- Paris : Magellan & Cie, 2004. - 143 p. :
ill. ; 24 cm. - (Traces & fragments).
ISBN : 2-914330-48-0
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NOTE DE L'ÉDITEUR : L'œuvre de Bernardin de Saint-Pierre
(1737-1814) est davantage connue que son auteur. Son grand roman
d'amour, Paul et Virginie, a été le premier
best-seller de l'histoire de la littérature et le premier
« livre de poche ».
Et pourtant, l'homme mérite
beaucoup mieux ! Romantique, ami des philosophes des Lumières
et de Rousseau, passant avec succès le tournant de la
Révolution et de l'Empire, c'est aussi un écrivain-voyageur
avant l'heure, l'auteur engagé du premier manifeste contre
l'esclavage et un botaniste compétent, successeur de Buffon
au Jardin des Plantes.
C'est son voyage à l'île
Maurice (île de France) et à La Réunion (île
Bourbon) en 1768 qui a été le grand révélateur
de son œuvre. C'est là qu'il a puisé son inspiration
créatrice et appris la science de l'observation de la
nature, au contact des plus grands botanistes et scientifiques
de son temps, souvent des navigateurs curieux et intrépides.
Dans ce livre, Élisabeth
Audoin redonne une place plus juste à cette personnalité
brillante et éclairée, dont la modernité
est troublante.
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SOMMAIRE |
Introduction - La jeunesse normande et les premiers voyages d'un aventurier
- À bord
- Botaniste à l'île de France
- Un anthropologue
- Le premier manifeste contre l'esclavage
- À Bourbon
- Le paradis perdu de Paul et Virginie
- Paris et les années de littérature
Œuvres Dates et repères |
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EXTRAITS |
… lorsque les nègres ne peuvent plus supporter leur
sort, ils se livrent au désespoir : les uns se pendent ou
s'empoisonnent ; d'autres se mettent dans une pirogue, et, sans
voiles, sans vivres, sans boussole, se hasardent à faire un
trajet de deux cents lieues de mer pour retourner à Madagascar.
On en a vu aborder ; on les a repris et rendus à leurs
maîtres. Pour l'ordinaire, ils se réfugient dans les bois,
où on leur donne la chasse avec des détachements de
soldats, de nègres et de chiens ; il y a des habitants qui
s'en font une partie de plaisir. On les relance comme des bêtes
sauvages ; lorsqu'on ne peut les atteindre, on les tire à
coups de fusil ; on leur coupe la tête, on la porte en
triomphe à la ville, au bout d'un bâton.
Voilà ce que je vois presque toutes les semaines. Quand on
attrape les nègres fugitifs, on leur coupe une oreille et on les
fouette. À la seconde désertion, ils sont
fouettés, on leur coupe un jarret, on les met à la
chaîne. À la troisième fois, ils sont pendus ;
mais alors on ne les dénonce pas, les maîtres craignent de
perdre leur argent. J'en ai vu pendre et rompre vifs ; ils
allaient au supplice avec joie, et le supportaient sans crier. J'ai vu
une femme se jeter elle-même du haut d'une échelle.
Ils croient qu'ils trouveront dans un autre monde une vie plus
heureuse, et que le père des hommes n'est pas injuste comme eux.
Ce n'est pas que la religion ne cherche à les consoler. De temps
en temps on en baptise. On leur dit qu'ils sont devenus frères
des Blancs, et qu'ils iront en paradis. Mais ils ne sauraient croire
que les Européens puissent jamais les mener au ciel. — Au Port-Louis de l'île de France, ce 15 avril 1769. ☐ p. 84 | Les mœurs des anciens habitants
de Bourbon étaient fort simples. La
plupart des maisons ne fermaient pas ; une serrure même
était une curiosité. Quelques-uns mettaient leur
argent dans une écaille de tortue au-dessus de leur porte.
Ils allaient nu-pieds, s'habillaient de toile bleue, et vivaient
de riz et de café ; ils ne tiraient presque rien
d'Europe, contents de vivre sans luxe, pourvu qu'ils vécussent
sans besoins. Ils joignaient à cette modération
les vertus qui en sont la suite, de la bonne foi dans le commerce,
et de la noblesse dans les procédés. Dès
qu'un étranger paraissait, les habitants venaient, sans
le connaître, lui offrir leur maison. La dernière guerre de
l'Inde a altéré un peu ces mœurs. Les volontaires
de Bourbon s'y sont distingués par leur bravoure ;
mais les étoffes de l'Asie et les distinctions militaires
de France sont entrées dans leur île. Les enfants,
plus riches que leurs pères, veulent être plus considérés.
Ils n'ont pas su jouir d'un bonheur ignoré : ils
vont chercher en Europe des plaisirs et des honneurs, en échange
de l'union des familles et du repos de la vie champêtre.
Comme l'attention des pères se porte principalement sur
leurs garçons, ils les font passer en France, d'où
ils reviennent rarement. Il arrive de là que l'on compte
dans l'île plus de cinq cents filles à marier, qui
vieillissent sans trouver de parti. — À Bourbon,
ce 21 décembre 1770.
☐ p. 103
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- Bernardin
de Saint-Pierre, « Voyage à l'isle de France,
à l'isle Bourbon, au cap de Bonne-Espérance »,
Amsterdam et Paris : Merlin, 1773
- Bernardin de Saint-Pierre, « Voyage
à l'île de France : un officier du roi à
l'île Maurice, 1768-1770 », Paris : François
Maspéro, 1983
- Bernardin de Saint-Pierre, « Voyage à l'Isle de France »
texte augmenté d'inédits avec notes et index par
Robert Chaudenson, Rose Hill (Île Maurice) : Éd.
de l'océan Indien, 1986
- Bernardin de Saint-Pierre, « Voyage
à l'île de France » (extraits) in Serge Meitinger
et Carpanin Marimoutou (éd.), Océan
Indien, Paris : Omnibus, 1998
- Bernardin de Saint-Pierre,
« Eloge historique et philosophique de mon ami »,
Paris : Payot & Rivages (Rivages poche, 816), 2014
- Gérard Nirascou, « Les enfants terribles de l'île
Maurice : Baudelaire et Bernardin de Saint-Pierre »,
Paris : Delville, 2003
- Elisabeth Leprêtre (dir.), « Paul et
Virginie, un exotisme enchanteur », Paris : Nicolas Chaudun ; Le
Havre : Musées historiques de la ville du Havre, 2014
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mise-à-jour : 23 juillet 2017 |
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