Ibiza
mon amour : enquête sur l'industrialisation du
plaisir /
Yves Michaud. - Paris : NiL éditions, 2012. -
351 p. ; 21 cm.
ISBN
978-2-84111-520-4
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Ibiza mon amour
n'est pas une romance à lire au soleil
d'été mais,
comme le précise le sous-titre, l'aboutissement et l'analyse
d'une enquête
sur l'industrialisation du plaisir ou, comme le précise l'éditeur, une enquête journalistique
et sociologique
suivie d'une réflexion
philosophique.
L'enquête comporte deux volets
— un
travail de terrain, mené dans les principales
boîtes de
nuit 1
qui assurent, depuis les années 1970, la
notoriété
internationale de l'île et, d'autre part, un regard sur
l'évolution du tourisme local depuis les années
1930.
Cette
mise en perspective éclaire un pan d'une histoire, par
ailleurs
violemment perturbée — la guerre
d'Espagne puis la
Seconde Guerre mondiale —, où l'auteur
discerne une
continuité. Dans les témoignages des visiteurs 2
qui découvrent l'île au début des
années 30,
observations et aspirations se joignent pour désigner
malgré la pauvreté qui sévit un bien
être immémorial
encore à portée de main et susciter l'esquisse
d'une
rêverie utopisante. Sur les ruines des conflits, cette trame
semble renaître dans une version
édulcorée :
c'est le temps de la bohème
dont la vogue culmine avec les hippies à la fin des
années 60 et au début des années 70.
Y-a-t-il
rupture quand l'industrie du tourisme et des loisirs, flairant les
opportunités d'un marché prometteur, se lance
dans
l'exploitation industrielle de la recherche du plaisir,
fondée
sur une formule simpliste mais fructueuse — sea, sex
and
sun ?
L'enquête
de terrain apporte des
réponses nuancées qui valident partiellement
l'hypothèse d'une continuité d'aspirations entre
les
premiers visiteurs et les hordes, qui au XXIe
siècle, submergent l'île chaque
été ;
mais l'auteur relève les inflexions qui, au fil du temps,
dénaturent l'élan initial au risque d'une
altération irréversible :
« le mythe [de
la quête du plaisir] s'est greffé sur une
réalité plus ancienne, qui par certains
côtés perdure (mais il faut aujourd'hui bien la
chercher),
celle d'un monde oublié, pauvre et digne, qui constitue la
toile
de fond des élaborations ultérieures et demeure
la source
de l'étonnante résistance d'Ibiza à la
défiguration complète »
(p. 39). Un
optimisme relatif et vite tempéré :
« l'utopie est bien morte. Place à la
jouissance et
aux affaires ! » (p. 270).
Yves
Michaud est agrégé de philosophie. Son
enquête
nourrit une réflexion qui porte au-delà
d'Ibiza ; y
sont en débat l'appétit hédoniste des
uns et
l'offre marchande que d'autres développent pour le
satisfaire
— au service d'une cupidité sans frein.
1. |
Et
dans tous les secteurs de l'économie directement ou
indirectement concernés : immobilier,
bâtiment et
travaux publics, hôtellerie, transports, banque ;
auprès de l'administration et du pouvoir politique. |
2. |
Parmi lesquels Walter
Benjamin
(1932, 1933), Albert Camus (1935), Raoul Hausmann (1933-1936), … |
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EXTRAITS |
Ibiza concentre de manière exemplaire
quelques-uns
de nos fantasmes les plus forts. Que l'on songe juste au nom des
principales boîtes de nuit de l'île :
Amnesia, Eden,
Pacha, Paradis Terrenal, Privilege — un monde entre
Adam au
Paradis et « si j'étais
roi » …
Ce
« tourisme XXL », pour reprendre
l'intitulé d'un colloque à Barcelone en 2007,
où
dialoguèrent de manière lugubre Rem Koolhaas et
Michel
Houellebecq, est celui offert à Ulysse par Calypso dans l'Odyssée.
On raconte en général l'Odyssée comme
si c'était uniquement le récit des
épreuves
d'Ulysse retournant à Ithaque pour retrouver
Pénélope. On oublie le
début :
« l'odyssée » en
question commence dans
l'île de Calypso, une île que la tradition
situe … entre Ibiza et Tanger, près des
Colonnes
d'Hercule au-delà desquelles commençait
l'inconnu, aux
confins du monde donc. Et elle pourrait aussi bien ne pas commencer du
tout.
Calypso
essaie en effet, par le charme de « paroles douces
et
amoureuses », de faire oublier Ithaque à
Ulysse, de
lui faire oublier qu'il y a une patrie et même un retour. Si
celui-ci parvient à quitter l'île de Calypso, ce
n'est pas
par ses propres forces. Ulysse obtient de partir grâce
à
l'intervention de Zeus envoyant Hermès persuader la
déesse de le laisser reprendre la mer. Il a donc fallu
l'intervention d'un dieu et pas n'importe lequel. Comme on sait le
voyage de retour ne sera pas une partie de plaisir.
Il
nous faut, hélas, tous revenir du paradis, mais ce serait
tellement mieux d'y rester engloutis dans l'amnésie du
plaisir.
Ibiza, c'est cette tentation et cette tentation a donné
naissance à une industrie qui tourne à plein
régime.
☐
Introduction, pp. 12-13
|
À Ibiza, le couple
emblématique de la nuit,
c'est l'oligarque et la (le) putain, le milliardaire de la mode et la
(le) putain, la vedette de la publicité et la (le) putain.
Quand
l'industrialisation du plaisir triomphe, triomphent donc aussi
cupidité, exploitation, corruption, prostitution. Le patron
chrétien, conservateur, paléofranquiste bon
teint, se
fait tenancier de bordel. C'est bien aussi ce que mon enquête
a
malheureusement montré.
(…)
J'exagère
certainement un peu, mais l'évolution d'Ibiza risque d'aller
dans le sens de cette production industrielle des
expériences de
jouissance, avec ses corrélats inévitables que
sont
trafics, corruption, prostitution.
Pour
échapper à cette évolution, il ne
suffira pas
d'inventer un autre modèle du tourisme, puisque ce qui est
en
jeu, c'est autre chose, de plus difficile à
produire : un
autre rapport à la vie.
☐
Conclusion, pp. 330-331
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SOMMAIRE
(résumé) |
Introduction
- Ibiza la
nuit — ou comment le philosophe passe du bon temps
- L'île
de Calypso, un guide en raccourci
- Ibiza, la
marque globale :
Ibiza brand
- Mix, remix
et techno : la révolution de la musique durant la
seconde moitié du XXe
siècle
- Des bars
musicaux à la party sous les étoiles :
1970-2011
- Sexe et
drogue
- Argent,
politique, fraudes et corruption
- Passés
et identités
- Mais
où sont passés mes hippies ?
- Artistes,
voyageurs, outsiders : utopie ou bohème ?
- Sur le
plaisir et l'hédonisme
- Usine
à sensations, fabrique d'émotion, engineering de
la vie, addiction
Conclusion : plaisir
et industrialisation du plaisir — le rat
démocrate chez Calypso
Bibliographie
Remerciements |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
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mise-à-jour : 28
août 2016 |
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