Tupaia,
le pilote polynésien du capitaine Cook / Joan
Druett ;
traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Henri Theureau
et
Luc Duflos. - Papeete : 'Ura éditions, 2015. -
415 p. : ill., cartes ; 21 cm.
ISBN
979-10-93406-03-9
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Tupaia
l'Indien qui est venu avec moi de Tahiti a appris à dessiner
de
façon point trop inintelligible (…) et il m'a
représenté en train de donner un clou
à un Indien
qui me vendait une langouste …
☐ Joseph Banks,
cité p. 11
…
un génie extraordinaire …
☐ Georg Forster, A voyage round the world, Ch. X
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De tous les Tahitiens que les
premiers visiteurs occidentaux ont approché à
Tahiti, à la fin du XVIIIe
siècle, Tuapaia est sans conteste le plus remarquable ;
jusqu'à une date récente pourtant, Tupaia s'est
trouvé relégué dans une
pénombre relative,
éclipsé par des personnalité moins
brillantes
telles qu'Aotourou ou Omai.
Issu d'une
haute lignée sur
l'île de Raiatea, Tupaia avait reçu une
éducation
de qualité dans tous les domaines de la vie culturelle,
religieuse et sociale ; artiste accompli, il
maîtrisait les
techniques de navigation aussi bien que celles de la diplomatie ou de
la guerre. Fort de ces compétences, Tupaia avait
souhaité
participer à la suite du premier voyage du capitaine
Cook ;
sur l'avis favorable de Joseph Banks, il avait pu embarquer sur l'Endeavour
en route vers la Nouvelle-Zélande. Après un
premier temps
d'incompréhensions réciproques, ses connaissances
avaient
alors permis de substantiels progrès fondés sur
ses
compétences de navigateur, ses connaissances
géographiques et, plus encore, sur son aptitude à
dialoguer avec les populations rencontrées : avec
les
Néo-Zélandais qui parlaient une langue proche du
tahitien, mais également — et c'est plus
remarquable — avec certains aborigènes
d'Australie,
en outrepassant la barrière de la langue.
Ce beau
parcours devait malheureusement connaître un terme
anticipé. Affaibli par les privations du voyage autant que
par
le régime alimentaire du bord, Tupaia meurt victime des
fièvres lors d'une escale à Batavia. En guise
d'oraison
funèbre, le capitaine Cook se borne à un
commentaire bref
et empreint de rancœur :
« C'était un
homme avisé, intelligent et ingénieux, mais
orgueilleux
et obstiné … »
(p. 355) ; Cook
pardonnait difficilement à Tupaia le rôle
prééminent qu'il avait exercé durant
la
navigation le long des côtes de la
Nouvelle-Zélande,
quand aux yeux des Maori l'Endeavour
était l'embarcation de Tupaia ! ❙ | La
British Library possède une liasse de dessins effectués
durant le voyage de l'Endeavour ; ces dessins sont restés
longtemps sans attribution, jusqu'à la découverte en 1998
d'une lettre de Joseph Banks qui permet formellement de les attribuer
à Tupaia. Ces dessins sont reproduits dans l'ouvrage de Joan
Druett. L'un d'entre eux (en couverture), montre un costume tahitien de
meneur de deuil ; on voit ailleurs un Maori et Joseph Banks
négociant le troc d'une langouste ; dans un autre encore, Tupaia
donne à voir deux embarcations de pêcheurs
aborigènes à Botany Bay, la technique de pêche mise
en œuvre, et surtout le regard des trois pêcheurs —
intensément concentrés sur l'action en cours et
indifférents, en apparence, aux intrus qui les observent. |
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EXTRAIT |
Grâce
à [Tupaia], les Maoris [de Nouvelle-Zélande]
eurent leur
première occasion d'examiner un Européen de
près
— car il était aussi le traducteur et
l'interprète de ces gens-là. En tant qu'arioi, il
connaissait bien l'art de la caricature, et il prit naturellement
plaisir à mimer, au grand amusement de ses auditeurs, les
travers de ces hommes qui avaient rendu sa vie à bord si
difficile. Comme lui, les Maoris appelèrent Cook « Tute », bien
qu'à la différence des Tahitiens, la
prononciation du son K ne leur posât pas de
problème.
D'ailleurs, ce n'est pas Tute qui
devint légendaire chez les Maoris, mais Tupaia
lui-même.
Lorsque les navires de la seconde expédition de Cook
arrivèrent en Nouvelle-Zélande, tout le monde
réclama Tupaia. Selon George Forster, un des hommes de
science
qui se trouvait à bord de la Resolution, la
nouvelle de sa mort fut d'abord reçue avec
incrédulité, puis avec des lamentations de deuil
— « Aue,
mate aue Tupaea ! » Il
est parti, il est mort, hélas !
Tupaia ! —
qui résonnaient dans Tolaga Bay. Et cela se reproduisit
partout : comme devait le remarquer Cook, le nom de Tupaia
était apparemment connu dans toute la
Nouvelle-Zélande,
autant de ceux qui ne l'avaient jamais vu que de ceux qui avaient
écouté ses histoires. Et son nom fait toujours
partie du
paysage néo-zélandais. De même que le
Capitaine
Cook nommait ses découvertes des noms de ses commanditaires,
de
ses officiers et de ses marins, les Maoris ont fait entrer Tupaia dans
la mémoire d'Aotearoa
en nommant des lieux en son honneur.
Chez quelqu'un qui
n'avait pas bénéficié, à
bord de l'Endeavour, du
respect auquel il avait droit, être traité avec
une
pareille vénération dut provoquer un profond
changement
d'humeur. Tupaia redevint le personnage détendu et
bienveillant
d'autrefois, à l'époque où il
était pilote
chez les arioi. Il
jouait
avec les plus petits — il existe une tradition selon
laquelle il réintroduisit l'art du tir à l'arc,
oublié depuis longtemps par les Maoris, de même
que la
technique consistant à fouetter les toupies pour les faire
tourner. En tout cas, il fit généreusement don de
son nom
à des enfants — Tupaea
pour
les Maoris, « qui s'élève avec
légèreté au-dessus de la mer
» — contre-don symbolique pour
les
trésors ancestraux qu'il avait reçus. La
florissante
dynastie des Tupaea qu'il fonda ne fut pas, elle, purement
symbolique : selon les traditions transmises dans la famille,
il
est bien leur ancêtre biologique.
☐ pp. 272-273 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Tupaia,
the remarkable story of Captain Cook's Polynesian
navigator », Auckland : Random house, 2011
- «
Tupaia, Captain Cook's Polynesian navigator », Santa
Barbara : Praeger, 2011
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mise-à-jour : 25
février 2016 |
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Joseph Banks négociant une langouste
avec un Maori (British library), p. 161 |
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|
Aborigènes australiens (British library),
p. 166 |
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|
(détail du
précédent) |
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