2 juin 1975.
Une date tragique
dans la vie du Fort. Durant cette seule journée, on enregistra
neuf décès. A notre grande surprise, Fritz Degazon,
alias Castro, mourut subitement. Après prières
et chants, nous frappâmes à la porte en criant comme
d'habitude :
La mort … La mort … La mort …
Aussitôt, comme en écho,
des voix d'une autre cellule annoncèrent que l'un des
leurs venait de rendre l'âme. Une heure après, le
refrain :
La mort … La mort … La mort …
fut repris par une troisième
cellule. Plop Plop
partait à peine avec le cadavre, qu'un quatrième
décès était déclaré. La
journée se passa ainsi, des coups rageurs, contre les portes et
les murs, s'ajoutant aux hurlements :
La mort … La mort …
La mort …
Après la neuvième
annonce, la panique s'empara de la prison. Tous les prisonniers
se mirent à hurler dans une lugubre cacophonie :
Au secours. Au secours.
La mort ! La mort !
La mort !
Anmwe, anmwe. Nap mouri …
Yap touye nou … Tanpri Bondye sispann … Nou mande
gras … Aba Duvalier. Aba Jean-Claude.
Je fus certain que nos cris arrivèrent
jusqu'à la HASCO, à trois kilomètres du
Fort, et nous étions persuadés que nos bourreaux
allaient intervenir pour nous éliminer une fois pour toutes.
Mais il n'y eut aucune réaction.
Neuf morts en une seule journée !
Les militaires responsables n'eurent même pas la décence
de nous envoyer le médecin de la prison. Pour toute réponse,
nous reçûmes le lendemain un plat convenable de
nourriture.
Le nombre de morts s'élevait
maintenant à une trentaine depuis le début de l'année.
☐ Extrait lu par Patrick Lemoine
pour l'émission Encre noire,
reproduit in Catherine Le Pelletier (éd.), « Encre noire, la langue
en liberté », Petit-Bourg (Guadeloupe) :
Ibis rouge, 1998
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