La
République d'Haïti, ancienne partie
française de
Saint-Domingue [reproduction en fac-similé] / Edgar La
Selve. -
Le Gosier (Guadeloupe) : Caret, 2004. -
II-65 p. :
ill. ; 27 cm. - (Petite bibliothèque du
curieux
créole, série Opere citato, 1).
ISBN
2-912849-06-3
|
INTRODUCTION :
[…]
Edgar La
Selve (1849-1892), semble arrivé sur l'île fin
1871 mû par le désir de voyager, et il fut
probablement
engagé sur place pour assurer les cours de la classe de
rhétorique du lycée de Port-au-Prince. Son
article,
destiné à faire connaître au public
français
la jeune République, recouvre une période allant
jusqu'au
printemps 1873 et constitue une première mouture d'un livre
qui
paraîtra en 1882, intitulé Le Pays des Nègres.
Le choix de ce nouvel intitulé peut s'expliquer pour des
motifs
d'opportunité : le livre est en effet
dédié
à Léopold II de Belgique qui venait de
créer
une Association Internationale Africaine se proposant
« d'ouvrir l'Afrique à la
civilisation ».
Ce que salue l'auteur avec enthousiasme. Mais La Selve a aussi
choisi ce titre en référence à
l'article de la
constitution haïtienne qui interdit aux Blancs de devenir
propriétaires sur l'île, ce que déplore
l'auteur,
qui voit là les raisons des difficultés
d'Haïti
à progresser.
Dans la
préface du Pays
des Nègres, La Selve
explique qu'il mit du temps à
récupérer son
manuscrit bloqué par les douanes anglaises lors de son
retour en
France, et donna, en attendant, la série d'articles qui
forment
ainsi La
République d'Haïti. C'est donc une
sorte de carnet de voyage qu'il fournit aux lecteurs du magazine.
Le livre
et un article de recension, passablement raciste, paru dans La Revue Littéraire
et politique de la France,
suscitèrent un tollé chez les hommes politiques
de
couleur alors à Paris, et une réaction vive de
Victor
Schœlcher. L'auteur de l'article, Léo Quesnel,
déclarait pourtant : «
Assurément M. Edgar
La Selve n'est pas un détracteur, un contempteur de
la race
noire. Professeur de théologie (sic) au Lycée de
Port-au-Prince, amateur décidé des pays
tropicaux, homme
de lettres épris de littérature
créole, qu'il a
lui-même contribué à enrichir, on sent
que M.
La Selve a plutôt du faible pour les populations
haïtiennes ». La Selve dut
être assez
contrit des réactions négatives
suscitées par son
livre, et d'être ainsi mis dans le même sac que les
pires
opposants de la jeune république, car, un peu plus tard, en
prélude à son roman Le Général
Cocoyo,
alors qu'Haïti venait de connaître deux
renversements
successifs de pouvoir, il adressa une lettre ouverte à
Victor
Schœlcher pour se défendre de toute
hostilité
envers les Haïtiens. Et il rappelle quels étaient
ses
objectifs en écrivant Le
Pays des Nègres :
« réunir à la fois une
relation de voyage, des
esquisses de mœurs, des faits historiques,
enregistrés au
fur et à mesure des évènements, durant
mon
séjour de 1872 à 1873 dans l'ancienne partie
française de Saint-Domingue ». Et ce qui
justifie
aujourd'hui, à nos yeux, la republication du
condensé du
livre, plus que l'évocation des faits d'histoire, ce sont
les
deux premiers points évoqués. Car l'auteur s'est
contenté, pour les faits historiques, de compiler
« la » source
inévitable de
référence, la Description de
Moreau de Saint-Méry, et les ouvrages des historiens
haïtiens Beaubrun-Audouin et Madiou, en les assaisonnant
d'anecdotes plus ou moins authentiques.
L'iconographie,
plus riche quantitativement dans les articles du Tour du Monde que
dans le livre qui lui succèdera, associe, en
parallèle au
texte, dessins modernes effectués à partir de
croquis ou
de photographies et dessins anciens tirés de l'Atlas de Moreau de
Saint-Méry.
Et l'on
est surpris de la beauté de l'île, de la
luxuriance de ses paysages, une île qui n'avait alors que
800 000 habitants, qui n'était pas encore
déboisée, dénudée. Et l'on
reste sous le
charme de ces ruines, de la tonalité romantique que le
ciseau
habile des graveurs a su leur donner.
Certes,
texte et images se ressentent d'une certaine nostalgie de
l'ancienne « perle des Antilles »
et des
préjugés et fausses certitudes de
l'époque, mais
il règne par ailleurs une certaine bonhomie, une
familiarité simple entre le voyageur-explorateur et ses
hôtes, si bien que l'on suit avec plaisir le
périple
à pied, à cheval et en bateau.
[…]
☐
pp. I-II
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EXTRAIT |
Le
samedi, jour de marché [à Port-au-Prince],
c'était
une indescriptible cohue. J'aurais lancé de ma
fenêtre une
épingle sur la foule qu'elle ne serait pas tombée
à terre. Les habitants des mornes descendent en ville des
hauteurs de la Coupe, par les chemins de Lalue, en soulevant des flots
de poussière.
Des
négresses passaient, portant dans des paniers,
posés
sur leurs têtes, à la manière des
canéphores, des vivres, des oranges, des bananes, des
ananas,
des pois-congo. On aurait dit des statues égyptiennes
descendues
de leurs piédestaux, à les voir
traînant leurs
pieds dans un flot d'indienne, la tête coiffée
d'un
mouchoir noué en tignon. D'autres, vêtues d'un
long
peignoir de gingar, allaient à âne, assises entre
deux
bottes d'herbes de Guinée. Des mendiants se tenaient sur les
côtés de la rue, debout ou accroupis sur les
passerelles
avec leur coco-macaque
blanc et
leur besace, demandant l'aumône aux passants. Des cris
s'élevaient de toutes parts.
Ici le
porteur d'eau marchait lourdement, courbé sous les
barillets que soutenait un levier de bois posé en
équilibre sur son épaule, comme le
fléau d'une
balance dont les plateaux seraient également
chargés. Au
milieu de cette fourmilière passait un cavalier ;
un
cabrouet, espèce de véhicule
présentant la forme
du quadrige antique, traîné par de maigres
haridelles,
embarrassait la rue. Le conducteur, les rênes dans une main,
le
fouet dans l'autre, pousse de tonnantes exclamations, fier comme un
triomphateur romain. Des bœufs, rappelant par leur taille et
par
la couleur de leur robe les vaches laitières du midi,
tiraient
une lourde charrette, pareille à celles que conduisent les
bouviers du Périgord. Les négociants, les commis,
les
courtiers, courent au bord
de mer.
La foule s'entassait sur la place Vallière, et la complainte
des
mendiants implorant la charité publique montait, par
intervalles, jusqu'à mon oreille.
☐
pp. 37-38 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
La République d'Haïti, ancienne partie
française de Saint-Domingue », Le Tour du monde, nouveau
journal des voyages, 2nd
semestre 1879
|
- « Histoire
de la littérature haïtienne depuis ses origines
jusqu'à nos jours, suivie d'une anthologie
haïtienne », Versailles :
Imprimerie de Cerf, 1875
- « Le
pays
des nègres : voyages à Haïti,
ancienne partie
française de Saint-Domingue »,
Paris : Hachette,
1881
- « Le
général Cocoyo, mœurs
haïtiennes », Paris : E. Dentu,
1888
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mise-à-jour : 11
janvier 2008 |
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