Poulo
Condore : un bagne français en Indochine /
Frédéric Angleviel. - Paris :
Vendémiaire,
2020. - 195 p. ; 20 cm. - (Chroniques).
ISBN 978-2-36358-340-6
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Implanté sur un
archipel en mer de Chine (à près de 200
kilomètres
au sud du delta du Mékong), le bagne de Poulo Condore a
été créé en 1861 par
l'administration
coloniale française pour y accueillir des
condamnés
locaux, ce qui le distingue radicalement du bagne de Guyane ou
de
celui de Nouvelle-Calédonie ouverts aux
condamnés
originaires de la Métropole et, plus largement, de ses
dépendances coloniales.
L'essai de
Frédéric Angleviel s'appuie largement sur les
archives
publiques et privées (dont une part a
été
détruite lors d'une révolte en 1945), et sur les
travaux
d'historiens et chroniqueurs locaux. La démarche met en
lumière la vocation explicite du bagne : inspirer
la
terreur à tout opposant potentiel. Mais cette
stratégie
comportait un écueil : conçu pour
éradiquer les diverses formes d'opposition au pouvoir
colonial
(nationalisme et, plus tard, communisme), Poulo Condore s'est
rapidement transformé en sanctuaire puis en centre de
formation
révolutionnaire. Au fil du temps on y voit passer les
grandes
figures — Pham Van Dong, Ho Chi Minh, le
futur
général Giap, … 1 — d'une
opposition qui, au prix de décennies de combats,
libérera le pays.
Alors
même qu'ils s'employaient quotidiennement à mettre
en
œuvre une politique inhumaine de terreur, les dirigeants du
bagne
menaient une vie confortable : logements agréables,
domesticité réquisitionnée
à très
bon compte … On pouvait se permettre de
faire venir
à grands frais depuis Saigon la glace destinée au
champagne servi lors des raouts de l'administration. L'île
comptait même une maison d'accueil pour les hôtes
de
passage ; c'est là que Camille Saint-Saëns
acheva du
20 mars au 19 avril 1895 son opéra Brunehilda !
Après
la défaite française, Poulo Condore ne fermera
pas ses
portes. Entre 1954 et 1975, la République du Vietnam (Sud) y
enferme ses opposants dans des conditions encore alourdies
par l'appui technique de son allié
américain. Puis
le Vietnam réunifié prend la relève,
jusqu'à la fermeture définitive en 1995.
Dans
l'esprit des Vietnamiens, l'île de Poulo Condore est depuis
longtemps tristement célèbre. Aujourd'hui, elle
est
considérée comme un vestige témoignant
d'une
période historique très mouvementée
pour le peuple
vietnamien. Elle était considérée
comme un
“ enfer sur terre ”, un terrible
régime
pénitentiaire mis en place par les colons
impérialistes
et un lieu de détention pour les révolutionnaires
vietnamiens. L'île est également un symbole
immortel de la
volonté indomptable des grands hommes du pays. 2
1. |
Frédéric Angleviel
évoque brièvement l'Annamite
Kydong, “ instigateur d'un mouvement
insurrectionnel ”, “ condamné
pour crime de
haute trahison et embarqué pour le bagne de Poulo
Condore ”, La Gazette du Village (14
novembre 1897) — texte cité p. 86.
Ky Dong
(ou Nguyen Van Cam, 1875-1929) était un héros de
la
résistance nationaliste. Il n'a semble-t-il jamais
été transporté à Poulo
Condore, mais
à la Guyane ou, plus vraisemblablement, en
Nouvelle-Calédonie d'où il aurait
été
transféré à Tahiti puis aux
îles Marquises
où il faisait office d'infirmier
bénévole et
où il s'est lié avec Paul Gauguin à
l'arrivée de ce dernier sur l'île d'Hiva Oa en
1901. |
2. |
“ Exposition Poulo Condore
à travers les archives ”, Agence vietnamienne
d'information, 18 novembre 2013
— texte cité p. 167 |
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EXTRAIT |
Dès
1911, le Conseil colonial, constatant l'augmentation du nombre de
détenus dans toute l'Union et
“ l'insuffisance ou
l'insalubrité des locaux
pénitentiaires ”,
souligne que le pénitencier des Poulo Condore est
“ suffisant pour recevoir le trop-plein de la prison
centrale ”. D'autant qu'il
“ serait très
facile d'y augmenter les locaux existants ; on y trouve du
sable,
des moellons, le pénitencier confectionne des briques et de
la
chaux ; la main d'œuvre y est nombreuse et
gratuite ” 1.
Le gouverneur par intérim reprend à son compte ce
discours et indique qu'il faudra, pour ce faire, la participation des
autres parties de l'Union.
Cinq ans plus tard, entre 1916 et
1917, le bagne n° 2 est construit par les prisonniers
à
la droite du bagne historique. Il comprend, sur 1,3 ha, 12 salles
similaires. Initialement “ camp des
lettrés
annamites ”, il regroupe les prisonniers politiques
exemptés de travail. C'est dans trois des immenses salles du
bagne n° 2 qu'ultérieurement furent
concentrés
dans leur grande majorité les détenus politiques
communistes et nationalistes des années 1930. Jean-Claude
Demariaux put y observer, une nuit de1936, le futur premier ministre
Pham Van Dong, condamné au bagne en 1929, faire un cours
d'économie politique à ses compagnons de
détention.
“ Le
bagne n° 2 a été la grande
pépinière anti-française du Viet-Minh,
dans les
années fiévreuses de 1934 à
1945 : le vase
clos des révoltes contre notre drapeau. ” 2
☐ pp.
43-44
1. |
Procès
verbaux du Conseil colonial de la Cochinchine, session ordinaire 1911,
Deuxième séance du 6 août […] |
2. |
Jean-Claude
Demariaux, “ Les secrets des îles Poulo
Condore ” (1956), p. 92 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Jacques
Brulé, « Poulo
Condore », Saigon : Imprimerie des
T.F.E.O., 1947
- Jean-Claude
Demariaux, « Les secrets des îles
Poulo-Condore, le
grand bagne indochinois », Paris : J.
Peyronnet, 1956
- Maurice
Demariaux, « Poulo-Condore,
archipel du Vietnam : du bagne historique à la
nouvelle
zone de développement économique »,
Paris : L'Harmattan, 1999
- Anna
Moï, « Riz noir »,
Paris : Gallimard, 2004
- Frank
Sénateur, Paul Miniconi,
« Poulo-Condore : le
bagne d'Indochine », Paris : Gobelins,
l'école
des images, 2016
- Georges
Taboulet et Jean-Claude Demariaux, « La vie
dramatique de
Gustave Viaud, frère de Pierre Loti »,
Paris :
Éd. du Scorpion, 1961
- Gustave
Viaud, « L'île
de Poulo-Condore, topographie médicale et rapport sur la
situation présente », Archives
de médecine navale, 1864,
n° 1, pp. 80-88
- Peter
Zinoman, « The colonial Bastille : a
history of
imprisonment in Vietnam, 1862-1940 »,
Berkeley :
University of California press, 2001
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Spécialiste
de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie où il est
né en 1961, Frédéric Angleviel est
l'auteur d'une
œuvre abondante centrée, pour l'essentiel, sur la
grande
île mélanésienne. On ne
présente ci-dessous
que les deux titres les plus récents, publiés
chez
l'éditeur de “ Poulo
Condore ”.
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- « Un
drame de la colonisation :
Ouvéa, Nouvelle-Calédonie, mai
1988 »,
Paris : Vendémiaire (Chroniques), 2015
- «
La France aux antipodes : histoire de la
Nouvelle-Calédonie », Paris :
Vendémiaire
(Chroniques), 201
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mise-à-jour : 16
avril 2020 |
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