parutions 2005

NOTE DE L'ÉDITEUR : « La Martinique est une immense scène de théâtre où les comédiens interprètent des textes d'auteurs différents et d'un autre âge. La trame ou les trames sont diluées dans une hallucinante cacophonie, antichambre d'un suicide collectif. En l'absence de l'autorité d'un auteur de consensus, chacun est livré à lui-même. Alors, aucun metteur en scène ne donne d'instructions. Les comédiens jouent et réagissent par ricochets, sont entraînés dans un ballet fou qui, toujours et encore, retarde la conclusion, repousse le mot fin. »

Ainsi parle Gustave de Mont-Villain, psychiatre d'origine békée, de passage à la Martinique avec dans ses bagages des bribes de souvenirs an ba fey. Ceux sans cesse battus en brèche par l'officialité, ceux qui habitent la mémoire collective bâillonnée. La longue quête identitaire de Raymond et Emile Darival, débouche-t-elle sur une impasse ?

L'Inde, l'Afrique, l'Europe frappent à l'orée de nos consciences, exacerbent le besoin « d'homofiliation physique » mais font de nous « des voisins en querelle de voisinage » englués dans des mythologies qui se rient du parcours de l'un ou de l'autre, se moquent du cheminement fécondé par le souffle de la créolisation qui permettrait d'atteindre à une digenèse assumée, comme le souhaite Edouard Glissant.

Nicole Delsham

EXTRAIT

Hier, Gérard l'avait abordé en déclamant d'une voix terrible « Je vois l'Afrique multiple et une Verticale dans la tumultueuse péripétie Et je redis : hoo mère ! Et je lève ma force Inclinant ma face Oh ! ma terre. » — Aimé Césaire dans Ferrement, sourit Emile. Le cœur de ce dernier se serra comme ce jour où, il y a de cela deux ans, il avait demandé à son ami : « Pour toi, un Martiniquais, c'est un noir ou un mulâtre ? » Gérard ne lui répondit pas, comme il l'espérait, que les deux étaient des Martiniquais, mais bien, et de façon définitive, qu'un Martiniquais était noir. — Tu fais parti de ceux qui pensent à un retour en Afrique ? lui avait-il demandé après sa tirade. — Oui. — C'est complètement idiot. — C'est une réponse de mulâtre qui ne m'étonne pas. — Pas du tout, nègre sot, comme dirait mon grand-père. Retourner en Afrique, pour nous, noirs ou indiens ou métis, toutes catégories confondues, serait fuir la Martinique. Les individus blancs ne fuient pas les pays d'Amérique conquis par leurs gouvernants, cela même lorsqu'ils ne sont pas du bon côté de la fortune, ils s'accrochent et bâtissent un nouveau pays qu'ils arrachent à leurs gouvernants avec la foi dans le futur et souvent en donnant leur sang pour cela. Moi, je veux que le mulâtre, le noir, l'indien et le blanc se clouent dans leur nouveau pays : la Martinique ! Cela avec la foi dans le futur. Je ne veux pas fuir la Martinique, je ne fuirai jamais la Martinique pétrie de notre sang et de nos larmes. — L'Afrique est notre berceau, nous ferons vivre l'Afrique à la Martinique. — Encore plus stupide ! Notre berceau est aussi l'Europe et l'Asie. ☐ pp. 90-92