Aline et Valcour, ou le Roman
philosophique / [D.-A.-F.] de Sade ; éd.
établie, présentée et
annotée par Jean M. Goulemot. - Paris : Livre de
poche, 1994. - (Classique, 4757).
ISBN 2-253-01298-X
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SADE
PAR LUI MÊME :
Roman par lettres sur le canevas desquelles
courent les deux épisodes de Sainville et
Léonore se ralliant au sujet ; dans celle
de Sainville se trouve la description réelle, et
faite sur des mémoires certains, d'un pays au centre de
l'Afrique, absolument inconnu jusqu'à présent, la
découverte d'une île dans la mer du Sud,
échappée à Cook,
où règne une forme de gouvernement faite pour
servir de modèle à tous ceux de
l'Europe ; dans l'épisode de Léonore est
un voyage très curieux autour du monde, de très
singulières aventures au Monomotapas, au milieu de
l'Afrique, au Portugal, en Espagne,
à l'Inquisition, et une nouvelle
espagnole ...
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« Catalogue
raisonné »
(1788), extrait cité par Jean M. Goulemot dans son Introduction,
pp 11-12
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SADE
PAR GILLES LAPOUGE :
Le roman Aline et Valcour,
publié en 1793, contient deux utopies. L'une est noire, elle
ordonne le royaume anthropophage de Butua. L'autre, couleur de rose,
sévit dans la bienheureuse île de
Tamoé. Et comme Sade est un homme de haute culture, bien
doué, classique, il remplit brillamment son
contrat : ses utopies respectent tous les édits du
genre — l'île, les règlements, la
monotonie, le dépérissement de
l'histoire, la manie systématique, l'ennui,
l'anonymat. Sur ses rivaux, Sade a quelques avantages : il
connaît que le mal, même traqué par des
gardiens, ne se suicide pas. Sade taille donc pour cet
ingrédient fort peu volatile une utopie tout
entière. Il en attend un double gain : le
bien, dans l'île de Tamoé, ne sera pas
entravé par ces passions, ces vices, que le roi
Utopus de Thomas More doit persécuter dans ses
États. Et, par conséquence, dans le Butua, le mal
atteindra un beau degré d'incandescence. Cette remarque est
ordinaire, elle confirme que Sade est obsédé par
la pureté, ce que la moindre lecture de son œuvre
enseigne déjà. Mais enfin ces deux textes ne sont
que des hors-d'œuvre. La véritable utopie
écrite par Sade ne doit pas être
recherchée dans Aline et Valcour pour la
raison qu'elle ne se trouve nulle part. Et
partout : c'est son œuvre
complète.
☐
« Utopie
et civilisation »,
p. 211
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THIERRY ROMAGNÉ :
[…]
Gérard Macé (…) a la bonne
idée de relire le plus gros roman de Sade, le premier qu'il
signe de son nom, d'ailleurs, Aline et Valcour. On
y suit, dans une histoire enchâssée plus longue que la
principale, les aventures de deux jeunes gens que leurs déboires
et autres infortunes poussent en Afrique et en Océanie. C'est
l'occasion d'une réflexion d'une ampleur et d'une
nouveauté “ qui
touche à l'étude des mœurs, à la politique
et à l'économie ”. La sombre réputation de l'auteur de Juliette éclipse
parfois trop ses préoccupations ethnologiques, juge l'auteur.
L'égalité entre les hommes et les femmes, le
cannibalisme, les raisons d'une politique antinataliste, malthusienne
avant l'heure, les conséquances néfastes ou mortelles de
la colonisation européenne, les méfaits de l'esclavage
sont les thèmes de celui qui est alors comparé non plus
à Laclos ou à Crébillon fils mais à Cook ou
à Bougainville. Nous sommes en tout cas loin de l'image d'un
Sade sadique. De plus, décrivant les mœurs des populations
indigènes que ses personnages rencontrent, le divin marquis a
soin de ne pas les condamner. Mieux : il les montre, parfois, en
mesure d'instruire les civilisés que nous sommes censés
être. Lui qui a été si souvent condamné dans
son pays fait preuve de tolérance et sait bien que “ nous appartenons encore plus à l'habitude qu'à la culture ” (Aline et Valcour). […] ☐
« Sade ethnographe »
— compte-rendu de l'ouvrage de Gérard Macé, “
Et je vous offre le néant ” (Gallimard, 2019), Quinzaines — Lettres, Arts et Idées | 1222 | 1er Janvier 2020
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EXTRAIT |
Cette ville, construite sur un plan
régulier, nous offrit un coup d'œil charmant. Elle
avait plus de deux lieues de circuit ; sa forme
était exactement ronde ; toutes les rues en
étaient alignées ; mais chacune de ces
rues était plutôt une promenade qu'un passage.
[…] Toutes [les] maisons étaient
uniformes ; il n'y en avait pas une qui fût, ni plus
haute, ni plus grande que l'autre […]. Toutes [les]
façades étaient
régulièrement peintes par compartiments
symétriques, en couleur de rose et en vert, ce qui donnait
à chacune de ces rues, l'air d'une décoration.
Après en avoir longé quelques-unes, qui nous
parurent d'autant plus riantes, que les insulaires garnissant en foule
le devant de leurs maisons, pour nous voir, contribuaient encore au
mouvement et à la diversité du spectacle, nous
arrivâmes sur une assez grande place d'une parfaite rondeur,
et environnée d'arbres.
[…]
Rien d'extraordinaire ne nous annonça
la maison du prince ; nous n'y vîmes aucun de ces
gardes insultants qui, par leurs précautions et leurs armes,
semblent dérober le tyran aux yeux de ses peuples, de peur
que l'infortune puisse apporter à ses pieds l'image des maux
dont elle est victime. Ce chef respectable, venu pour nous recevoir
lui-même à la porte de son palais, fut
indifféremment abordé par tous ceux qui nous
guidaient ou nous accompagnaient ; tous s'empressaient de
l'approcher ; tous jouissaient en le voyant, et il fit des
gestes d'amitié à tous.
Grand par ses seules vertus, respecté
par sa seule sagesse, gardé par le seul cœur de
son peuple, je me crus transporté, en le voyant, dans ces
temps heureux de l'âge d'or, où les rois
n'étaient que les amis de leurs sujets, où les
sujets n'étaient que les enfants de leurs princes. Je crus
voir enfin Sésostris au milieu de la ville de
Thèbes.
☐ pp. 280-281
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
Aline et Valcour, ou le roman
philosophique … » par le Citoyen
S***, Paris : chez Girouard, 1793
- « Aline
et Valcour, ou le roman philosophique … »
par le Citoyen S***, Paris : chez la Veuve Girouard, 1795
- « Aline
et Valcour, ou le roman philosophique »
(2 vol.)
éd. par Gilbert Lely, Paris : Cercle du livre
précieux (Œuvres complètes du Marquis
de Sade,
IV-V), 1962
- « Aline
et
Valcour, ou le roman philosophique »
(2 vol.)
éd. mise en place par Annie Le Brun et Jean-Jacques Pauvert,
Paris : Pauvert, 1986
- « Aline
et Valcour, ou le roman philosophique », in Œuvres,
vol. 1, éd.
établie par Michel Delon, Paris : Gallimard (La
Pléiade), 1990
|
- Pierre
Favre, « Sade utopiste :
sexualité, pouvoir et État dans le roman Aline et Valcour »,
Paris : Presses universitaires de France, 1967
- Jean-Charles
Gateau, « L'île de Tamoé, ou
l'aloi du père chez Sade » in Impressions
d'îles, textes réunis par
Françoise Létoublon, Toulouse : Presses
universitaires du Mirail, 1996
- Gérard Macé, « Et je vous offre le néant », Paris : Gallimard (NRF), 2019
|
→ Roger Mercier,
« Sade et le thème des voyages dans Aline et Valcour »,
Dix-huitième
siècle, 1969, vol. 1/1,
pp. 337-352
→
Adrien Paschoud, « L'Afrique au prisme du romanesque
sadien : l'épisode de Butua dans Aline et Valcour
(1795) », Dix-huitième
siècle, 2012, 44,
pp. 291-306
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mise-à-jour : 1er janvier 2020 |
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