Bernard Le Bovier de Fontenelle

Relation de l'île de Bornéo, présentée et annotée par Philippe Hourcade et Claudine Poulouin

Honoré Champion

Paris
, 2021
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utopies insulaires
regards sur l'Insulinde
parutions 2021
Relation de l'Île de Bornéo / Fontenelle ; présentée et annotée par Philippe Hourcade et Claudine Poulouin ; suivie de Histoire des oracles, présentée et annotée par Claudine Poulouin. - Paris : Honoré Champion, 2021. - 282 p. ; 22 cm. - (Œuvres complètes, 3).
ISBN 978-2-7453-5580-5
Le 17 octobre 1685, Louis XIV dénonce la Religion Prétendue Réformée et révoque l'Édit de Nantes par lequel Henri IV, en 1598, avait garanti un minimum de droits en faveur de l'exercice du culte protestant. Les conséquences ne se font pas attendre ; elles sont violentes et désastreuses.

La Relation de l'Île de Bornéo est publiée sans nom d'auteur en janvier 1686 à Amsterdam dans les Nouvelles de la République des Lettres de Pierre Bayle, “ alors que la persécution contre les protestants a atteint un degré de violence inouï ” (1). Sous le travestissement exotique et le ton burlesque qui visent à déjouer le contrôle des institutions religieuse et politique, Fontenelle dénonce ouvertement l'abus d'autorité du pouvoir et la répression en cours ; il en appelle à la raison et à la liberté de penser. En répondant à la barbarie engendrée et légitimée par la révocation de l'Édit de Nantes, Fontenelle ouvre une perspective vers le siècle des Lumières.

Bornéo est ici la scène d'un conflit qui met en jeu Mliseo souveraine décédée, sa fille Mreo qui a pris la succession et une nouvelle venue, Eénegu  “ qui prétend être fille de Mliseo, et déposséder Mreo ”. Remettre en ordre les anagrammes qui désignent les trois reines éclaire l'intention de Fontenelle : “ Mliseo ou Solime est Jérusalem ; Mreo, Rome ; Eénegu, Genève —, la [Lettre de Bornéo] se présente comme une allégorie politique et satirique d'une guerre civile qui se joue en Europe ” (2). Le détour exotique, à défaut d'une stricte visée utopique, permet un regard critique suivant une perspective voisine de celle de Thomas More sur l'Angleterre de son temps.
       
1.Claudine Poulouin, Avant-propos, p. 7
2.Philippe Hourcade et Claudine Poulouin, Introduction, p. 15
EXTRAIT
Il y a quelques années que la reine nommée Mliseo mourut, et sa fille Mreo lui succéda, reconnue d'abord dans toute l'île sans difficulté. Les commencements de son règne furent assez goûtés par ses sujets, mais ensuite les nouveautés qu'elle introduisit peu à peu dans le gouvernement, firent murmurer. Mreo voulait que tous les ministres fussent eunuques, condition très dure, et qu'on n'avait point jusqu'alors imposée, et cependant elle ne les faisait mutiler que d'une certaine façon qui n'empêchait pas les maris de se plaindre encore d'eux. C'est la coutume que les reines donnent à certains jours des festins publics à leurs sujets. Mreo en avait retranché la moitié de ce que donnaient les autres reines ; bien plus, le pain était sous son règne d'un prix excessif dans toute l'île, et l'on ne savait ce qu'il était advenu, si ce n'est qu'on accusait de certains magiciens qu'elle avait à ses gages de le faire périr [NdE: de le faire disparaître] avec des paroles. On se plaignait beaucoup encore de quelques prisons nouvellement bâties où elle faisait jeter les criminels, et d'où elle les tirait pour de l'argent, ce qui avait considérablement augmenté ses revenus. Mais rien ne choquait plus les habitants de Bornéo que la salle des cadavres, qui était dans le palais de la reine, quoiqu'à vrai dire ce ne fût pas un mal bien réel pour les sujets. Elle faisait embaumer les corps de ses favoris lorsqu'ils mouraient, on les arrangeait dans cette salle en grande cérémonie, et il fallait qu'on leur rendît ses respects avant d'entrer dans l'appartement de Mreo. Il y avait des esprits naturellement fiers et indépendants qui ne s'y pouvaient résoudre.

pp. 30-31
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Extrait d'une Lettre écrite de Batavia dans les Indes Orientales, le 27 novembre 1684 contenu dans une lettre de M. de Fontenelle, reçue à Rotterdam par M.Basnage », Nouvelles de la République des Lettres, Amsterdam, chez Henry Desbordes, mois de janvier 1686, Article X, pp. 86-90
  • « Relation de l'Isle de Bornéo » suivie de la Lettre au Marquis de la Fare, sous le titre Lettres facétieuses de Fontenelle qui n'ont jamais été imprimées dans ses œuvres, [Paris] : [Didot l'aîné], [1807]
  • « Relation de l'Isle de Bornéo », in Œuvres complètes éd. par Alain Niderst (vol. 1), Paris : Fayard, 1990
  • « Relation de l'île de Bornéo » in Rêveries diverses : opuscules littéraires et philosophiques éd. par Alain Niderst, Paris : Desjonquères (XVIIIe siècle), 1994
  • « Histoire des Ajaoïens », éd. critique du manuscrit de Galatzi par Hans-Günter Funcke, Oxford : Voltaire foundation (Libre pensée et littérature clandestine, 6), 1998

mise-à-jour : 13 octobre 2021
Fontenelle : Relation de l'Île de Bornéo
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