Mémoires
du comte de Forbin : 1656-1733 / [publ. par son secrétaire
Simon Reboulet] ; éd. présentée et
annotée par Micheline Cuénin. - Paris : Mercure de
France, 2007. - 570 p. : cartes ; 18 cm. - (Le
Temps retrouvé). ISBN 978-2-7152-2474-2
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NOTE DE L'ÉDITEUR :
Les Mémoires laissés par les marins de Louis XIV sont
rares et d'un style assez technique. Ceux du comte de Forbin, trop
longtemps occultés, se révèlent exceptionnels tant
par l'étendue et la variété des aventures
militaires qu'ils couvrent que par la plaisante vivacité de leur
écriture. Nul n'a parcouru tant de mers, du Siam à la mer
Blanche, nul n'a pu faire valoir, en tant d'opérations
risquées, une pareille connaissance des flots et des
hommes ; nul n'en a parlé avec plus d'agrément. Le
franc-parler de cet officier trop intelligent lui valut d'être,
jusqu'à ce jour, fort calomnié. Il est temps que ce texte
passionnant, divertissant d'un bout à l'autre, contribue
à lui rendre justice tout en nous régalant de plaisirs
sans mélange.
Cette édition est enrichie de notes
substantielles et d'annexes nombreuses permettant une meilleure
plongée dans ces glorieuses années.
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Claude
de Forbin, cadet sans fortune d'une famille artistocratique solidement
implantée à Marseille et en Provence, réunit deux
qualités rarement assorties : c'est un bon marin et un
écrivain au style vif, soucieux d'exactitude et
dégagé des convenances de son temps : “ je
me suis surtout proposé dans ces mémoires de ne rien
écrire que de plus conforme à la plus exacte
vérité, soit en ne parlant que des
événements auxquels j'ai eu part et qui se sont
passés sous mes yeux, soit en ne m'épargnant pas
moi-même dans mes propres fautes ”
(p. 32). Ces qualités revendiquées peuvent expliquer
l'animosité et la méfiance de nombreux commentateurs.
Les
mémoires du comte de Forbin courent de 1675 à 1710 et se
déploient de la Méditerranée à
l'Océan Indien et à la Mer de Chine, en Atlantique, en
Manche et en Mer du Nord jusqu'à la Mer Blanche — soit,
pour l'époque, une large expérience de la navigation et
des activités qui y sont liées : guerre, diplomatie,
commerce, … Le mémorialiste a trouvé dans ce
parcours une profuse richesse d'expériences et l'occasion d'une
permanente mise en perspective de ses impressions et jugements.
Le
voyage au Siam (1685-1688) est l'un des temps forts de cette
carrière, l'un de ceux qui ont le plus retenu l'attention.
Pour atteindre leur objectif (Bangkok) les navigateurs, après
une escale au Cap, empruntent le détroit de la Sonde et font
escale à Batavia où Forbin mesure la puissance de la
Compagnie des Indes Néerlandaises et de ceux qui y exercent le
pouvoir : une évaluation rigoureuse (non
dénuée de jalouise ?) de la toute puissance du
commerce colonial. Deux ans plus tard, sur la route du retour, les
navigateurs croisent en vue des îles Nicobar et Andaman ;
c'est l'occasion, pour Forbin, d'un regard sur deux archipels qui
déjà à l'époque semblaient vivre
très loin — comme en marge de la civilisation, sinon du monde.
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EXTRAITS |
Batavia
est la capitale des Hollandais dans les Indes : leur puissance y
est formidable ; ils y entretiennent ordinairement cinq ou six
mille hommes de troupes réglées, composées de
différentes nations. La citadelle qui est placée vers le
milieu de la rade, est bâtie sur des pilotis : elle est de
quatre bastions, entourés d'un fossé plein d'eau vive. La
ville est bien bâtie ; toutes les maisons en sont blanches,
à la manière des Hollandais : elle est remplie d'un
peuple infini, parmi lequel on voit un très grand nombre de
Français religionnaires et catholiques que le commerce y a
attirés.
Le général de la Compagnie des
Indes y fait sa résidence : il commande dans toutes les
Indes hollandaises, et sa cour n'est ni moins nombreuse ni moins
brillante que celle des rois. Il règle avec un conseil toutes
les affaires de la nation ; il n'est pourtant pas obligé de
déférer aux délibérations du conseil, et il
peut agir par lui-même, au préjudice de ce qui aurait
été arrêté : mais, en ce cas, il
demeure chargé de l'événement, et il en
répond. C'est à lui que s'adressent les ambassades de
tous les princes des Indes, auxquels il envoie lui-même des
ambassadeurs au nom de la nation : il fait la paix et la guerre
comme il lui plaît, sans qu'aucune puissance ait droit de s'y
opposer. Son généralat n'est que pour trois ans ;
mais il est ordinairement continué pour toute la vie ; de
sorte qu'il est très rare, pour ne pas dire sans exemple, qu'un
général de la Compagnie des Indes ait été
destitué.
☐ pp. 86-87 |
Du
détroit de Malacca, nous passâmes par les îles de
Nicobar, qui sont habitées par des peuples tout à fait
sauvages : ils vont entièrement nus, hommes et femmes, et
ne vivent que de poisson et de quelques fruits qu'ils trouvent dans les
bois ; car leurs îles ne produisent ni riz, ni
légume, ni d'autre sorte de grain dont ils puissent se nourrir.
À trente lieues de ces îles, est celle d'Andaman, que
nous aperçûmes de loin ; ceux qui l'habitent sont
anthropophages, et les plus cruels qu'il y ait dans toutes les Indes.
☐ p. 163 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Memoires du comte de Forbin, chef
d'escadre, chevalier de l'ordre militaire de Saint
Loüis » [publiés par Simon Reboulet,
secrétaire du comte], Amsterdam : François Girardi,
1729
- « Mémoires du comte de Forbin (1656-1733) » [publ. par son secrétaire
Simon Reboulet] ; éd. présentée et
annotée par Micheline Cuénin. - Paris : Mercure de
France (Le Temps retrouvé, 65), 1993
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mise-à-jour : 30 novembre 2021 |
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