Marie-Gracieuse Martin-Gistucci

Port de la Lumière

La Marge - San Benedetto

Ajaccio, 1998
bibliothèque insulaire
   
des femmes et des îles
îles d'Atlantique

parutions 1998

Port de la lumière / Marie-Gracieuse Martin-Gistucci. - Ajaccio : La Marge, 1998. - 221 p. ; 21 cm. - (San Benedetto).
ISBN 2-86523-132-1
Le bonheur n'est pas indispensable, mais la JOIE, la JOIE, nous pouvons et nous devons nous en rendre maîtres.

p. 121

Pour les Guanches, premiers habitants des Canaries, la sève du dragonnier — le sang du dragon — servait à soigner les vivants et embaumer les morts. C'est à l'ombre des dragonniers qui s'épanouissent dans l'archipel que Blanche et Alain passent dix jours ensemble avant d'affronter, chacun de son côté, une épreuve décisive ; Blanche doit subir dès son retour une intervention chirurgicale, Alain devra choisir entre Blanche et Monique sa jeune maîtresse.

Des plages de la Grande Canarie au pied du Teide sur l'île voisine de Ténérife, les itinéraires vont s'infléchir — effet du retrait insulaire, emprise de paysages marqués par le feu, rencontres fortuites, souvenirs de lecture (Jules Verne, Conrad, Dante surtout omniprésent).

Le conte canarien imaginé par Don Enrique, l'un des protagonistes du roman — pour se consoler d'être plus vieux que sa jolie épouse —, tient lieu d'épilogue et devrait éclairer le lecteur sur le futur destin d'Alain et de Blanche.
EXTRAIT Tout au fond, là où le bouillonnement des laves s'était durci puis effrité en une pulvérulence roussâtre, la lumière entrait, du moins aux heures hautes. D'en bas, toutefois, on ne devait voir qu'un petit ciel rond, prisonnier des parois, et pour lire les étoiles, il fallait attendre le bon plaisir de leur rotation. Sur ce fond déshérité, presque au centre, il y avait une ferme. Elle était flanquée de quelques eucalyptus qui, vus d'en haut, avaient l'air d'asperges montées en feuilles, mais étaient sans doute assez grands, car auprès d'eux la maison paraissait un jouet. Un peu à flanc de paroi, sur la gauche, quelques murettes blanchies délimitaient ce qui était peut-être des champs de tomates ou des bananeraies mais, vu de l'esplanade, faisait figure d'étroites plates-bandes.

Ainsi, au fond de ce trou, là où dans son enfer imaginé Dante avait amarré Lucifer tricéphale et triplement anthropophage, ce qu'il y a, c'est une maison. Avec des gens qui vivent là, en compagnie d'enfants, de vieillards, de chiens, de chats et de poules, et de quelques porcs sans doute aussi. Et chaque matin, sous les eucalyptus, le coq salue la lumière dès qu'elle parvient à descendre en bas. Et les gens qui vivent ainsi s'acharnent, arrachent aux pierres de quoi survivre et même, bananes ou tomates, de quoi vendre aux hommes de la surface. Et l'ombre vert-de-gris des arbres leur paraît douce quand la chaleur tombe jusqu'à eux. Ils sont seuls, peut-être parce qu'il n'y a que très peu d'eau ou parce que personne d'autre n'a assez de courage, mais peut-être aussi parce qu'ils sont jaloux de leur défi à l'abîme, du bonheur qu'ils ont conquis …

« Foyers clos, possession jalouse du bonheur » (Et Gide, tout de suite avant, avait dit « Familles, je vous hais »). Même après tant d'années, Blanche reconnaissait la force libératrice de des mots. Comme la tranquillité péremptoire de cette simple phrase l'avait aidée, à l'âge des conflits entre l'affirmation de soi et la mauvaise conscience ! Elle avait seize ans quand elle s'était demandé si la tendresse parentale ne se ramenait pas à une persistance têtue de la possession, si ce n'était pas une prolongation de l'égoïsme, et un immobilisme préfigurant la mort. La maison natale alors préfigurait le cercueil et rester dans l'ombre de sa mère lui paraissait déjà s'enfoncer dans l'épaisseur de la terre.

pp. 94-95
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « L'île intérieure », Ajaccio : La Marge, 1987
  • « Le miroir fantasque », Ajaccio : La Marge, 1988
  • « Ombres, jours ajacciens et autres récits », Ajaccio : La Marge, 1996
  • « La mère inconnue », Ajaccio : La Marge, 1997
Marie-Gracieuse Martin-Gistucci a traduit en français les Écrits politiques d'Antonio Gramsci (Gallimard, 1975 et 1980) ; elle est également l'auteur d'une thèse sur L'œuvre romanesque de Matilde Serao (Presses universitaires de Grenoble, 1973).

mise-à-jour : 20 décembre 2007

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