Thomas Mann

La mort à Venise (suivi de) Tristan (et) Le chemin du cimetière

Le Livre de poche

Paris, 1965
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Méditerranée
Venise
La mort à Venise [suivi de] Tristan [et] Le chemin du cimetière / Thomas Mann ; introduction de Geneviève Bianquis. - Paris : Le Livre de poche, 1965. - 191 p. ; 17 cm. - (Le Livre de poche, 1513).
Alors qu'il prend l'air dans les faubourgs de Munich par une après-midi de printemps, le romancier Gustav Aschenbach 1 aperçoit la silhouette d'un voyageur ; il est aussitôt submergé par une envie passionnée de fuir son environnement familier, imaginant au terme du voyage “ un marais des tropiques, sous un ciel lourd de vapeurs, moite, exubérant et monstrueux, une sorte de chaos primitif fait d'îles, de lagunes et de bras de rivière charriant du limon ” (p. 38). Après quelques semaines consacrées à mettre bon ordre à son œuvre et à ses affaires, il prend la route et gagne le port de Pula où il embarque pour une des îles de la côte istrienne. Mais l'île est trompeuse — “ la côte n'avait point de ces molles plages de sable qui, seules, vous mettent sur un pied de familiarité avec la mer ” (p. 51) ; moins de quinze jours après son arrivée, Aschenbach reprend la mer, cette fois à destination de Venise ou, plus précisément, de l'hôtel des Bains au Lido — longue bande de sable entre la lagune et l'Adriatique.

Dans la chaleur lourde d'un été exposé au sirocco et aux miasmes de la lagune, le célèbre romancier se laisse fasciner par la grâce d'un jeune pensionnaire de l'hôtel ; Thomas Mann, qui avait en tête la passion de Gœthe septuagénaire pour une jeune fille de dix-sept ans, s'est démarqué de toute référence historique, a rehaussé le seuil des interdits transgressés et ménagé la fatalité d'un dénouement tragique 2. Sur Venise pèse en effet la menace du choléra — “ engendrée par la chaleur dans le delta marécageux du Gange, avec les miasmes qu'exhale un monde d'îles encore tout près de la création ” (p. 115), et véhiculée par les flux commerciaux de l'époque, l'épidémie venait de faire son apparition dans le bassin méditerranéen. C'est du chaos primitif, pressenti et attendu au premières pages du roman, que surgit le mal dans lequel s'abîme la passion du romancier. Aschenbach meurt face à l'Adriatique en contemplant le jeune Tadzio : “ il [lui] semblait que le psychagogue pâle et digne d'amour lui souriait là-bas, lui montrait le large ; que, détachant la main de sa hanche, il tendait le doigt vers le lointain, et prenant les devants s'élançait comme une ombre dans le vide énorme et plein de promesses ” (p. 130).
       
1. “ C'est un écrivain assez proche de Thomas Mann lui-même, un romancier de l'énergie triste et de l'héroïsme passif ” — Geneviève Bianquis, Introduction, p. 19.
2. Cf. Introduction, p. 19.
EXTRAIT    Qui ne serait pris d'un léger frisson et n'aurait à maîtriser une aversion, une appréhension secrète si c'est la première fois, ou au moins la première fois depuis longtemps, qu'il met le pied dans une gondole vénitienne ? Etrange embarcation, héritée telle quelle du Moyen Age, et d'un noir tout particulier comme on n'en voit qu'aux cercueils, — cela rappelle les silencieuses et criminelles aventures de nuits où l'on n'entend que le clapotis des eaux, cela suggère l'idée de la mort elle-même, de corps transportés sur des civières, d'évènements funèbres, d'un suprême et muet voyage. Et le siège d'une telle barque, avec sa laque funéraire et le noir mat des coussins de velours, n'est-ce pas le fauteuil le plus voluptueux, le plus moelleux, le plus amollissant du monde ? Aschenbach s'en aperçut lorsqu'il fut assis aux pieds du gondolier en face de ses bagages soigneusement rassemblés à l'avant relevé de la gondole. Les bateliers continuaient à se quereller avec des gestes menaçants, des mots qui sonnaient dur à son oreille et dont le sens lui échappait. Mais le remarquable silence de la cité des eaux semblait accueillir les voix avec douceur, leur ôter du corps, les égrener à la surface du flot. Dans le port, il faisait chaud. Laissant jouer sur lui le souffle tiède du sirocco, détendu, abandonné dans les coussins au rythme de l'eau qui berce, le voyageur fermait les yeux, goûtait le plaisir doux et rare pour lui de se laisser aller. La traversée ne durera pas longtemps, pensait-il ; plût au ciel qu'elle durât toujours ! Et bercé par la gondole légère, il eut la sensation de glisser, d'échapper au tumulte et aux voix.

p. 58
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Der Tod in Venedig », München : Hyperion Verlag Hans von Weber, 1912
  • « La mort à Venise » trad. de l'allemand par Félix Bertaux et Charles Sigwalt, Paris : Kra (Les Cahiers nouveaux, 10), 1925
  • « La mort à Venise » trad. de l'allemand par Philippe Jaccottet, Lausanne : Henry-Louis Mermod (Collection du Bouquet, 37), 1947 ; Lausanne : La Bibliothèque des arts, 1994
  • « Der Tod in Venedig = La mort à Venise » éd. bilingue, trad. nouvelle, préface et notes par Axel Nesme et Edoardo Costadura, Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche, 8714), 2002
  • « La mort à Venise (suivi de) Tristan (et) Le chemin du cimetière », trad. de l'allemand par Félix Bertaux, Charles Sigwalt et Axel Nesme, Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche, 1513), 2007
  • Philip Kitcher, « Deaths in Venice : the cases of Gustav von Aschenbach », New York : Columbia university press, 2013
♫ « La mort à Venise = Death in Venice » musique de Benjamin Britten et livret de Myfanwy Piper d'après La mort à Venise de Thomas Mann, Lyon : Opéra national de Lyon, 2009

mise-à-jour : 13 février 2019

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