Nour, 1947 / Raharimanana. -
Paris : Le Serpent à plumes, 2003. -
260 p. ; 17 cm. - (Motifs, 168).
ISBN
2-84261-403-8
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ce
qui nous a été enlevé : la
liberté d'envol …
☐ p.
202 |
Madagascar, novembre 1947 : Sept chants pour sept nuits.
À l'histoire
tourmentée de Madagascar, la répression de
l'insurrection de 1947 1
ajoute une note suprême d'horreur par l'insanité
des
objectifs, l'abjection des méthodes, l'ampleur des
destructions,
la lourdeur des conséquences. Raharimanana porte un regard
sans
complaisance sur cet épisode qu'il inscrit dans la
continuité d'un sombre destin.
Sept nuits pour évoquer une implacable
fatalité et, au terme, soûlé de noirceur et
d'espérance, prier la clémence de
l'oubli …
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EXTRAIT |
Ambahy
— Nous y croyions, au départ des coloniaux. Nous
n'en
doutions nullement. Ne pouvions concevoir que venant de si loin ils
puissent décréter cette terre comme
étant la leur.
Ne pouvions même pas comprendre comment cette idée
avait
pu germer dans leur esprit. Est-ce par ce Dieu qui leur recommande de
peupler toutes les terres ? Est-ce par cet orgueil qui les
porte
et les incite à ne pas supporter d'autres cultures, d'autres
façons de vivre ?
Je
tentais d'expliquer à mes compagnons comment ils se
massacraient
mutuellement dans leur pays. Je tentais de leur décrire
l'horreur des tranchées et la barbarie de leurs
affrontements.
Le silence me répondait. Seulement le silence.
L'incompréhension …
Je
me rends compte maintenant de combien nous avions manqué de
lucidité, de combien nous avions oublié qu'ils
n'étaient que des hommes, en
réalité ! Des
hommes qui rêvaient de conquêtes ! Des
hommes qui
brûlaient de désir de puissance ! Nos
ancêtres
avaient débarqué sur ces rivages. Migrants.
Étrangers. S'y étaient installés.
Enracinés. Jusqu'à oublier que la graine donnant
des
racines venait d'une autre terre, d'une autre contrée. Loin.
Très loin d'ici. Désir d'affirmer et de croire
que notre
propre puissance s'assimile à celle que libère
cette
terre que nous foulons ! Nos rois n'avaient pas
hésité à nous vendre pour assouvir ce
même
désir ! Nos peuples n'avaient pas
hésité
à s'affronter pour le contrôle d'une plaine ou
d'un cours
d'eau ! Les coloniaux étaient venus d'un peu plus
loin,
avaient utilisé d'autres moyens, d'autres
dieux …
Nos sagaies n'y purent rien. Nos amulettes. Notre
magie …
Nény …
N'étais-tu
qu'un rêve qui nous avait visités ? Que
celle qui
jamais n'a cru qu'une terre n'acceptait que ses natifs ou plus
exactement ceux qui s'y imposaient, y survivaient ? Quelle est
cette idée d'appartenance qui nous pousse à nous
entre-tuer ? À effacer toute autre trace ne
convergeant pas
dans notre sillage ? Peut-on décréter
que toute
terre ne doit correspondre qu'à une race, qu'à
une
nation, qu'à une civilisation ? À ne
vouloir te
fixer que dans tes enfants, les hommes, Nény, ne te
réserveront que l'errance …
Voici
que les vagues se referment et que les songes refluent. J'ai envie de
croire encore à la sainteté de cette terre,
d'oublier la
froideur du fusil et de cette mort qu'il sème : une
perdition totale, l'anéantissement de toute
mémoire …
C'est
sur cet îlot déserté de tous que je
choisirai ma
mort, que je retracerai ce qui nous a été
enlevé : la liberté
d'envol …
☐ pp. 200-202 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Nour,
1947 », Paris : Le Serpent à
plumes, 2001 ; La
Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2017
|
- « Madagascar,
1947 »
ill. de photos du Fonds Charles Ravoajanahary, La
Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs ;
Antananarivo : Tsipika, 2007
|
- « Lucarne »,
Paris : Le Serpent à plumes, 1996 ; Le
Serpent à plumes (Motifs, 96), 1999
- « Rêves sous le
linceul »,
Paris : Le Serpent à
plumes, 1998 ; Le Serpent à plumes (Motifs, 222), 2004
- « Identités,
langues et imaginaires dans l'océan Indien »
textes réunis et présentés par
Jean-Luc Raharimanana, Lecce : Alliance française
(Interculturel Francophonies, 4), 2003
- « L'arbre anthropophage »,
Paris : Joëlle Losfeld, 2004
- « Revenir »,
Paris : Rivages, 2018
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Sur le site « île en
île » : dossier Raharimanana |
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mise-à-jour : 27
juillet 2018 |
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