Jean-Luc Raharimanana

L'arbre anthropophage

Joëlle Losfeld - Littérature française

Paris, 2004

bibliothèque insulaire

   
Madagascar
parutions 2004
L'arbre anthropophage / Jean-Luc Raharimanana. - Paris : Joëlle Losfeld, 2004. - 255 p. ; 22 cm. - (Littérature française).
ISBN 2-07-078949-7
Comment dire cette terre ?

p. 16

Deux parties composent le livre.

En ouverture, L'écriture des racines tend à ressaisir dans un même élan la mémoire de l'enfance et celle d'une île — vagues successives de peuplement issues d'horizons éloignés, se heurtant et se mêlant avant d'affronter au détour de l'histoire la convoitise des puissances coloniales. Le récit vise à lutter contre l'oubli autant que contre un simulacre d'histoire : « Garder les traces de cette poésie qui a bercé mon enfance. Mais s'interroger aussi sur la mémoire de ces collines. Une histoire écrite par les vainqueurs et reléguant celle des vaincus dans la légende ou les rumeurs ».

Tracés en terre douce, la seconde partie, ancre le récit dans les séquelles d'une histoire aux plaies toujours à vif. En 2001, Madagascar est au bord de la guerre civile ; Venance Raharimanana (Zokibe), père de l'auteur est brutalement arrêté par les milices du pouvoir, emprisonné et torturé : « Mon père parlait d'histoire. Parlait des différends entre Malgaches. Parlait du dépassement nécessaire à effectuer. Parlait de la nouvelle nation que nous devons construire ensemble. Parlait. Parlait … — On lui a mis le canon d'une kalach dans la bouche. Ils ont labouré. Labouré … — Parle Zokibe. Parle maintenant … » (p. 150). À Paris puis à Madagascar, Jean-Luc Raharimanana agit dans l'urgence : il faut au plus vite sortir Zokibe de sa prison — quête incertaine, harassante, souvent dangereuse, et heureusement aboutie quand se referme le livre.

Amorcé dans la sourde rumeur du mythe et poursuivi dans les violents soubresauts d'un avenir qui se cherche, L'arbre anthropophage lève le poids de l'oubli, nécessaire préalable à l'éveil : « L'écrivain décide de relever les pilastres de l'Histoire malgache en la confrontant au présent. Un présent dans lequel il est immédiatement impliqué. Ce n'est plus une affaire d'écrivain rêveur mais d'écrivain éveilleur » (Alain Mabanckou, Africultures, 27 janvier 2005).
EXTRAIT    Je me rappelle encore de Yaban'i Hira qui sur la montagne des lépreux nous racontait …

   « Nous sommes venus d'ailleurs, venus de l'horizon. Nous étions tous de la même race en foulant cette terre. Nous avons abordé l'île, il y a longtemps, très longtemps, étions arrivés sur une terre inconnue. C'était entre Manakara et Mananara. Oui, c'est là que nous tenons tous nos origines. Nous ne savions pas que cette nouvelle terre était une île, qu'elle allait nous entourer d'océans et que nous ne pourrions plus jamais repartir. Nous ne savions pas tout cela. Nous ne connaissions même pas les coutumes. Nous ne respections même pas les esprits du sol. Tous ces kokolampo, tous ces kalanoro, tous ces dziny …

   « Alors pour explorer cette terre, nous nous sommes séparés en trois groupes qui malheureusement, au fil du temps qui passe ont oublié, ou feint d'oublier leurs origines communes. Le premier partit vers le sud, et plus tard, en remontant vers l'ouest, ses gens formeront les Sakalava ainsi que toutes les tribus qui s'y rattachent : les Bara, les Vezo, les Masikoro … Le second alla vers le nord, c'est eux les Betsimisaraka, les Antakarana. Vous, les enfants, vous Antakarana, vous appartenez à ce groupe. Le troisième, enfin, alla vers le centre, vers les hauts plateaux, ils seront les Betsileo, les Merina, les Sihanaka et même les Tsimihety. En vérité, nous n'étions qu'une seule et même tribu, pas dix, ni cent, ni mille. »

   Il se taisait alors et dans un silence, comme dans un souffle, le regard tourné vers le lointain :
   « Et encore moins dix-huit … »

   Il reprend :
   « Vous voyez, enfants, l'île qui se trouve au loin ? »

   Perçant la brume de l'océan, un bout de terre, une illusion traînant son sillage noirâtre de coraux. Des pêcheurs, parfois, des pirogues à balanciers, y tiennent escale. Des nuées d'oiseaux souvent la cachent, nuées qui pourtant indiquent sa présence.

   Le vieil homme ferme les yeux et nous projette dans son monde.

L'écriture des racines, pp. 58-59
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Lucarne », Paris : Le Serpent à plumes, 1996 ; Le Serpent à plumes (Motifs, 96), 1999
  • « Rêves sous le linceul », Paris : Le Serpent à plumes, 1998 ; Le Serpent à plumes (Motifs, 222), 2004
  • « Nour, 1947 », Paris : Le Serpent à plumes, 2001 ; Le Serpent à plumes (Motifs, 168), 2003 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2017
  • « Identités, langues et imaginaires dans l'océan Indien » textes réunis et présentés par Jean-Luc Raharimanana, Lecce : Alliance française (Interculturel Francophonies, 4), 2003
  • « Madagascar, 1947 » ill. de photos du Fonds Charles Ravoajanahary, La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs ; Antananarivo : Tsipika, 2007
  • « Revenir », Paris : Rivages, 2018
Sur le site « île en île » : dossier Raharimanana

mise-à-jour : 27 juillet 2018

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