L'âme de
Kôtarô contemplait la mer / Medoruma
Shun ; traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako,
Véronique Perrin et Corinne Quentin. - Paris :
Zulma, 2013. - 280 p. ; 19 cm.
ISBN 978-2-84304-674-2
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| … depuis toujours elle le sait, que l'homme vit de la mer et qu'il ira après sa mort dans un monde situé au-delà des mers.
☐ L'âme relogée, p. 55 |
Dans
les six nouvelles du recueil, vivants (de tous âges) et
revenants participent également à la
vie de l'île (Okinawa), dans un climat tropical qui évoque
le monde Caraïbe — chaleur, lagon, palmiers, champs de canne
à sucre, … Pourtant, l'innocence originelle,
familière aux plus jeunes comme à ceux qui
approchent de la mort, est irrémédiablement dévastée par un passé
proche d'extrême violence : la seconde guerre mondiale, puis l'occupation
américaine dont les séquelles n'ont pas été
effacées par la rétrocession au Japon en 1972.
Dans
la première nouvelle du recueil, l'âme de
Kôtarô est submergée par la douleur. En contemplant
la mer (elle-même témoin de combats monstrueux), Kôtarô
s'éloigne du monde des vivants et se rapproche des disparus
chers à son cœur ; quand enfin l'écart est
assez creusé pour qu'il puisse se joindre à eux, arrive
une tortue qui vient pondre sur la plage, comme pour renouer les liens
de vie brutalement tranchés par la guerre.
Ailleurs des
poissons, des oiseaux ou des papillons esquissent la trame d'un monde
apaisé, mais à deux pas du rêve, les effluents
des raffineries de sucre et les déjections des élevages
de porc s'entassent, les poissons pêchés ne sont plus
consommables. Et les mauvaises habitudes s'enracinent : “ Il est
difforme ce poisson, avais-je dit un jour au vieil homme de retour sur
la rive, en regardant le tilapia qu'il avait pêché. Il est
plein de poison, avec ça, c'est un aller simple pour
l'au-delà. Il avait rigolé, cela ne l'inquiétait
pas ” (p. 135). ❙ | Medomura
Shun (目取真俊) est né à Okinawa en 1963 ; ses nouvelles ont
été couronnées par les prix Akutagawa (1997) et Kawabata (pour Mabuigumi en 2000).
Il est activement opposé au néo-nationalisme japonais et
à la présence militaire américaine dans l'archipel
d'Okinawa. — Informations complémentaires : The Asia-Pacific Journal. |
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L'âme relogée | p. 7 | L'awamori du père Brésil | p. 59 | Rouges palmiers | p. 117 | Coq de combat | p. 153 | Avec les ombres | p. 189 | La mer intérieure | p. 233 |
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EXTRAIT |
L'îlot
Yaganna, dans le lagon, était si petit qu'un bon nageur pouvait
en faire le tour en un quart d'heure. Même à son point
culminant, il ne dépassait pas vingt mètres de haut, et
mis à part quelques jeunes pins sauvages, il n'y poussait que
des graminées géantes. Creusées à flanc de
falaise, il y avait là plus de cent tombes de toutes tailles.
L'îlot était à une cinquantaine de mètres de
la plage de débris coralliens et, à marée basse,
on pouvait le rejoindre à pied. À leur mort, les gens qui
étaient nés et avaient passé leur vie au village
étaient tous inhumés là. Chaque caveau
était celui d'une famille, d'une lignée appelée monchû et, au moment du Seimeisai, la
fête du printemps, les parents et les proches partis travailler
à Naha ou dans le centre de l'île se retrouvaient tous
ici. Ils disposaient des victuailles dans le jardinet devant la tombe,
chantaient et dansaient au son du sanshin, festoyaient
en compagnie des âmes de leurs ancêtres. Comme si
l'îlot entier était recouvert d'oiseaux de mer, il y avait
des gens partout, l'air résonnait des voix et des rires, des
prières et des chants.
Après la fête,
l'îlot retrouvait son calme habituel, les aigrettes venaient se
poser sur les branches des pins à la tombée du jour.
☐ pp. 250-251 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
Mabuigumi (魂込め) », Tōkyō : Asahi Shinbun-sha, 1999
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- «
Les pleurs du vent » trad. du japonais par Corinne
Quentin, Paris : Zulma, 2016
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mise-à-jour : 16 novembre 2021 |
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