Molloy [suivi de] L'Expulsé / Samuel
Beckett ; dossier de presse de Molloy ;
postface — Beckett
le précurseur — par Bernard
Pingaud. - Paris : Union générale
d'éditions, 1971. - 311 p. ;
18 cm. - (10/18, 81-82).
|
NOTE
DE L'ÉDITEUR : En 1951
apparaît Molloy. Ce roman terrible sonne
le glas de toute la littérature militante qui avait surgi
aux lendemains de la Libération. Mais peut-être
sonne-t-il aussi le glas de toute littérature. Renouant, en
les dépassant, avec les grandes leçons de Joyce
et de Kafka, il nous livre un univers dont toute signification est
bannie et une parole qui se détruit d'elle-même,
au gré de son propre ressassement.
|
BERNARD
PINGAUD :
[…]
Imaginant le jour
où la littérature disparaîtra avec la
mort du dernier écrivain, Maurice Blanchot (l'auteur,
peut-être, dont Beckett est le plus proche)
écrit : “ Ce n'est pas par le
silence, mais par le recul du silence, par une déchirure de
l'épaisseur du silence, et, à travers cette
déchirure, l'approche d'un bruit nouveau, que s'annoncera
l'ère sans parole. Rien de grave, rien de bruyant :
à peine un murmure, et qui n'ajoutera rien au grand tumulte
des villes dont nous croyons souffrir. Son seul
caractère : il est incessant ” 1. Ce murmure
incessant, cette étrange parole “ froide,
sans intimité et sans bonheur ”, qui
“ semble dire quelque chose alors que
peut-être elle ne dit rien ”, c'est la
voix même qui nous saisit dès les
premières lignes de Molloy :
anonyme, tenace, à la fois intarissable et comme morte.
Molloy lui-même l'entend, qui passe à travers lui
et lui dicte ses mots : “ Je ne me disais
rien du tout, mais j'entendais une rumeur, quelque chose de
changé dans le silence, et j'y prêtais l'oreille,
à la manière d'un animal j'imagine, qui
tressaille et fait le mort. Et alors, quelque fois, il naissait
confusément en moi une sorte de conscience, ce que j'exprime
en disant, Je me disais. ” Et Moran :
“ Se taire et écouter, pas un
être sur cent n'en est capable, ne conçoit
même ce que cela signifie. C'est pourtant alors qu'on
distingue, au-delà de l'absurde fracas, le silence dont
l'univers est fait ” 2.
☐
Beckett
le précurseur, pp. 308-309
1. |
Le
livre à venir, p. 265 |
2. |
La voix
silencieuse, c'est aussi, bien sûr, celle qui
“ donne des instructions ”
à Moran. |
|
EXTRAIT |
Il y a des gens à qui la mer ne
réussit pas, qui préfèrent la montagne
ou la plaine. Personnellement je n'y suis pas plus mal qu'ailleurs. Une
grande partie de ma vie a déferlé devant cette
immensité frissonnante, au bruit des vagues grandes ou
petites et des griffes du ressac. Que dis-je devant, de plain-pied
avec, étalée sur le sable ou dans une grotte.
Dans le sable, j'étais à mon affaire, le faisant
couler entre mes doigts, y creusant des trous que je comblais
aussitôt ou qui se comblaient tout seuls, le jetant en l'air
à pleines mains, m'y roulant. Et la grotte, où la
nuit entraient les feux des fanaux, je savais comment faire pour ne pas
y être plus mal qu'ailleurs. Et que la terre
n'allât pas plus loin, d'un côté au
moins, n'était pas pour me déplaire. Et sentir
qu'il y avait au moins un sens où je ne pouvais aller, sans
me tremper d'abord et ensuite me noyer, m'était doux. Car je
me suis toujours dit, Apprends à marcher d'abord, ensuite tu
prendras des leçons de natation. Mais n'allez pas croire que
ma région s'arrêtât au littoral, ce
serait une grave erreur. Car elle était cette mer aussi, ses
récifs et ses îles lointaines, et ses
abîmes cachés. Et moi aussi je m'y
étais promené, dans une sorte d'esquif sans
rames, mais j'avais confectionné une pagaie. Et je me
demande parfois si j'en suis jamais revenu, de cette promenade. Car si
je me vois mettre à la mer, et voguer longtemps sur les
flots, je ne vois pas le retour, la danse sur les brisants, et je
n'entends pas grincer sur la grève la frêle
carène.
☐ p. 90
|
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Molloy »,
Paris : Éd. de Minuit, 1951
|
- « Malone
meurt » trilogie de Molloy
(2),
Paris : Éd. de Minuit, 1951
- «
L'innommable » trilogie de Molloy (3),
Paris : Éd. de Minuit, 1953
|
|
- Maylis
Besserie, « Le Tiers temps », Paris : Gallimard,
2020
- Charles
Juliet,
« Rencontres
avec Samuel Beckett », Paris :
Éd. de Minuit, 1999
- James
Knowlson,
« Beckett :
biographie », Arles :
Éd. Solin/Actes sud, 1999
- Brigitte Le
Juez, « Beckett
avant la lettre », Paris :
Grasset, 2007
|
|
|
mise-à-jour : 2 avril 2021 |
|
|
|