Le
tumulte de mon sang / Stanley Péan. - Montréal : La
Courte échelle, 2007. - 158 p. ; 18 cm. ISBN 978-2-89021-940-3
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La chute de la maison Duché, telle
que la raconte Stanley Péan, prend son essor au cœur de la
Nouvelle-Angleterre. En résonnance avec l'esprit des lieux, le
souvenir d'Edgar Poe n'est pas loin ; mais les puissances
maléfiques qui vont se déchaîner portent la marque
d'Haïti, les stigmates de son histoire tourmentée
— « autant l'architecture de la maison
Duché témoignait de son appartenance à la
Nouvelle-Angleterre, autant sa décoration était
marquée par les couleurs et arômes de cette île
vénéneuse, carapace de tortue que mes compatriotes
traînaient dans l'exil » (p. 17).
Ces sombres variations où la mythologie caraïbe et le
vodou tiennent un rôle déterminant, fournissent à
Stanley Péan l'occasion d'un jeu virtuose de
références aux grandes figures des littératures
haïtienne (Jacques Stephen Alexis tout particulièrement),
nord américaine et européenne ; les clins
d'œil n'y manquent pas, en pleine tension même :
« Rodrigue, tu n'as pas de cœur ! a-t-elle
lancé, en me crachant à la figure »
(p. 143).
Hallucinations, pressentiments et
cauchemars font progresser une intrigue qui se dénoue avec une
rigueur simple et rude proche de celle qui sous-tend la tragédie
grecque ; mais auparavant, comme dans Hamlet, un
conte enchassé au milieu du récit a esquissé les
prémisses d'une révélation qui surprendra tous les
protagonistes.
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EXTRAIT |
Venus de la cuisine, des fumets de girofle, de thym et d'ail frit
assaillaient nos narines et ressuscitaient en moi l'image d'un bambin
pendu au tablier de sa grand-mère. À ce moment, une
clochette tinta, et nous nous pressâmes vers la salle à
manger où nous attendaient la table et nos bols qui exhalaient
des nuages parfumés.
Après un potage
au jiromon, Stacy nous servit un lambi aux tomates accompagné de
ri-ak-djon-djon garni de crevettes qui me fit l'effet d'une
lampée à la fontaine de Jouvence. Mady ne manqua pas de
m'asticoter au sujet de mes paupières gonflées de larmes
dont j'imputai la responsabilité au piment qui relevait la
sauce. Haïti me rejoignait par-delà les lieues,
éclipsant ma terre d'adoption, inoculant mes veines de ses
herbes et épices. De nouveau, je me surprenais à caresser
des souvenirs de Man Brigitte, les repas similaires qu'elle et moi ne
pouvions nous offrir que lors de grandes fêtes, cette verve avec
laquelle elle savait balayer neige et froid saguenéens pour y
substituer le réel merveilleux de la Caraïbe.
Après le dessert, entre deux coupes de champagne, Madeline
proposa que Ouidah « tire » un conte. La vieille,
dont la mine demeurait toujours figée, refusa d'abord d'un signe
de tête. Devant l'obstination d'une Mady rajeunie par l'ivresse,
elle-même remontait le cours du temps, redevenait la fantastique
nounou qui avait bordé cette enfant durant tant d'années.
☐ pp. 77-78 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « Le tumulte de mon sang », Montréal : Québec-Amérique (Littérature d'Amérique), 1991
- « Le tumulte de mon sang », Port-au-Prince : Presses nationales d'Haïti, 2007
- « Après-midi à Cormier » in : Bernard Magnier (éd.), A peine plus qu'un cyclone aux Antilles, Cognac : Le Temps qu'il fait, 1998
- « Taximan : propos et anecdotes recueillis depuis la banquette arrière », Montréal : Mémoire d'encrier, 2004
- « Jazzman : chroniques et anecdotes autour d'une passion », Montréal : Mémoire d'encrier, 2006
- « Mascarade », in Hommage aux lettres d'Haïti, dossier
préparé par Jean-Euphèle Milcé, La Nouvelle
Revue Française, n° 576, janvier 2006
- « Bizango », Montréal : Les Allusifs, 2011
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mise-à-jour : 13 juin 2011 |
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