La
femme qui dort / Natsuki Ikezawa ; trad. du japonais par
Corinne
Quentin. - Arles : Philippe Picquier, 2009. -
118 p. ;
21 cm.
ISBN
978-2-8097-0116-6
|
|
Ne
sommes-nous pas dans un pays où, au moment de la
fête des
morts, on voit dans le ciel bleu de l'été toutes
les
âmes des ancêtres alignées ?
☐ Mieux encore que les fleurs, p. 74 |
Né
en 1945 à Obihiro (Hokkaidō) la plus septentrionale des
quatre
grandes îles qui forment le Japon, Ikezawa vit aujourd'hui
loin
au sud de la
« métropole », sur
l'île d'Okinawa. Le voyage qu'il propose dans deux des trois
nouvelles du recueil traverse le temps plus que l'espace.
Dans Mieux encore que les fleurs, l'héroïne
revit à son insu la passion de la princesse Shō Toku
— fille du dernier souverain de la dynastie
Shō — dont,
par la suite, elle tentera
d'élucider le destin tragique en se plongeant dans les
chroniques historiques de l'archipel.
Quant
à l'héroïne de La femme qui dort, elle
vit à Boston avec son mari, et c'est par le rêve
qu'elle
se trouve prendre part à une cérémonie
du rituel Izaihō sur
l'île Kudaka, un rituel qui donne
à toutes les femmes de l'île ayant atteint
l'âge de
trente ans le titre de « déesses ».
Aux marges de la
fable, les récits s'ancrent dans un quotidien familier qui
rehausse leur pouvoir de dérangement.
❙ |
La mère d'Ikezawa Natsuki
était la poétesse Akiko Harajō, son
père le
poète et romancier Fukunaga Takehiko (traducteur de
Baudelaire
et de Sartre, auteur d'un essai sur Gauguin) — tous
deux
étaient membres de la société
littéraire
“ Matinée
poétique ”. |
|
EXTRAIT |
Je ne savais pas ce que je faisais là. Elle non
plus ne
disait rien en conduisant. Peut-être parce qu'elle voulait
prendre une rue sur la droite et devait rester attentive pour trouver
le bon moment de traverser la voie entre deux voitures venant en sens
inverse, toujours est-il qu'elle a continué à
garder le
silence. Enfin, après avoir pris la rue sur la droite, elle
a
jeté un œil vers moi :
— De la cuisine américaine,
ça vous dit ?
— Oui, n'importe quoi, ça me va.
Une fois le mot lâché, je me suis dit
que n'importe
quoi était une expression un peu malheureuse mais le docteur
Tokuko n'a pas semblé s'en offusquer.
— Alors, allons jusqu'à Awase,
a-t-elle
lancé en s'engageant sur la route 329. Pour une femme (je ne
devrais pas dire ça), elle avait une conduite rapide et
agile.
Awase, c'est loin de Nanbu. En cours de route, on a quand
même un
peu parlé : de ma région (tu te
souviens, je suis
né dans la péninsule de Miura), de mes
impressions sur
Okinawa. Et du travail à l'hôpital. Je pense lui
avoir dit
que j'aimais bien cet hôpital.
Elle ne disait
rien sur elle. Ni de ce qui lui avait donné envie de
dîner
avec moi. Personnellement, je pensais qu'elle me faisait une sorte de
faveur. Peut-être que j'étais un bon
manutentionnaire et
que le directeur de l'hôpital lui avait demandé de
m'inviter, mais au fond de moi je savais que j'étais en
train de
me raconter des bêtises.
Awase se trouve
près de Koza, sur la côte Pacifique. A
côté
du port de plaisance, il y a un restaurant qui s'appelle Sam's
by the sea. C'est
un établissement on ne peut plus à
l'américaine.
C'en est même risible. Le plafond est très haut,
avec des
ventilateurs qui tournent sans arrêt, il y a beaucoup
d'espaces
entre les tables, les serveuses, jeunes ou vieilles, portent la
même minijupe avec un petit tablier blanc. Les plats sont
copieux, le goût est le même qu'aux Etats-Unis. Et
un verre
de Margarita contient autant qu'une canette de Coca-Cola. C'est tout
ça qui rend le lieu assez attrayant.
Mais
j'étais un peu mal à l'aise. Je n'avais aucune
idée des intentions de ma compagne. Alors j'ai
continué
à ponctuer le dîner de mes impressions sur Okinawa
en tant
qu'originaire de la métropole, sur l'hôpital et
autres
réflexions sans intérêt, tout en
faisant honneur au
repas.
☐ Mieux encore que les fleurs, pp. 43-44 |
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
La femme qui dort », Arles : Philippe Picquier (Picquier
poche), 2014
|
- « Tio
du Pacifique », Arles : Philippe Picquier,
2001, 2007
- « La
sœur qui portait des fleurs »,
Arles : Philippe Picquier, 2004
|
- Philippe
Forest et Cécile Sakai (dir.), « Pour un autre
roman
japonais », Nantes : Cécile Defaut, 2005
(recueil de
textes et d'entretiens entre écrivains japonais
— Ikezawa Natsuki, Horie Toshiyuki, Tsushima
Yuko, Furui Yoshikichi — et
écrivains
français publié à l'occasion des Rencontres
littéraires franco-japonaises,
organisées en octobre et novembre 2002 par le Lieu unique de
Nantes.)
|
|
|
mise-à-jour : 16
janvier 2019 |
|
|
|