Les îles / Françoise Grauby. - Paris : Maurice Nadeau, 2007. - 266 p. ; 21 cm.
ISBN 978-2-86231-205-7
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Si
cette histoire était la mienne, je serais cette fille qui,
à 23 ans, avait quitté sa mère, sa province, son
pays, pour aller vers les îles. Peindre-voyager, voyager-peindre,
c'est tout ce qui l'intéressait.
p. 11 |
NOTE DE L'ÉDITEUR :
Une jeune artiste peintre débarque en Nouvelle-Calédonie
en 1984. Elle veut être artiste, rien d'autre et voir le monde
avec d'autres yeux. Mais à peine le pinceau est-il en main que
la toile se met à bouger : l'île gronde, les
autochtones se révoltent, les gens se battent, d'autres
s'enfuient.
En six volets, elle raconte son itinéraire :
l'expérience du déracinement, les violences de la guerre
civile, le chassé-croisé des vies, la passion, la
peinture, et surtout l'histoire d'une vocation. L'existence et les
îles au bout du pinceau.
❙ Françoise Grauby
enseigne la littérature française en Australie. Elle est
l'auteur de plusieurs ouvrages de critique littéraire et d'un
roman, Un cheval piaffe en moi (Maurice Nadeau, 2004).
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EXTRAITS |
Mélanésiennes
dans vos robes-sacs à fleurs, nourries de bananes et de patates
douces, je me souviens de vous, vous étiez fortes, costaudes et
solides au cricket (sauf quand vous étiez battues comme
plâtre par vos compagnons), mais la réalité,
c'était ça : en ces temps-là, vous
étiez nos femmes de ménage qu'on payait en grosses
pièces sonnantes au creux de la paume, qui repassaient nos
sous-vêtements et nos draps sans broncher ou en parlant avec les
yeux et un ou deux mouvements de sourcils. Vous portiez à bout
de bras en même temps le linge, les sacs et les enfants.
J'en ai mis du temps à vous voir.
☐ p. 45 | C'est dans les
îles, loin des écoles et des maternages, que j'ai
rencontré pour la première fois ces mondes
étranges et sous-marins, que j'ai appris à dessiner
bêches de mer et ramages du corail, les doigts des
oursins-crayons, que j'ai découvert le mollusque de
l'intérieur, la carapace chitinée qui nous
protège, le dur et le mou, la coque striée, les muscles
et les tubercules, nos nageoires, nos écailles, nos ailerons,
nos queues. « Le
premier amour, le premier lever de soleil, le premier contact avec une
île des mers du Sud sont des souvenirs mis à
part … », dit Robert Stevenson.
Là-bas l'étincelle s'est produite et le reste a
brûlé, mon corps s'est frotté comme une pierre
à feu au bloc de la mer, du soleil, à ce silex qu'est le
corps des hommes, tout a pris feu, j'ai été
palpée, roulée, pétrie comme un grain de sable ou
de sucre sous la paume.
Car pourquoi
créer si ce n'est pour s'en aller de son corps, dire le
squelette comme un couteau et la chair entamée par le
métal du soleil, le corps sortant de lui-même, abandonnant
derrière lui sa dépouille, une ombre immobile, un tas de
chiffon, une tache.
☐ p. 263 |
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mise-à-jour : 26 septembre 2007 |
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