Holy smoke /
Guillermo Cabrera Infante ; traduit de l’espagnol
(Cuba),
par Albert Bensoussan ; présentation et postface de
Patrick
Amine. - Albi : Passage du nord-ouest, 2007. -
V-425 p. ;
19 cm.
ISBN
978-2-914834-25-4
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On
dirait que le démon n'aime pas le tabac.
☐ Gogol
— cité p. 343 |
« Ce
livre peut être lu comme une variation autobiographique.
C'est un
éloge et une ode au tabac, une histoire du havane, de Cuba,
de
la chanson et de la musique populaire. Une histoire pleine de
digressions … » 1.
C'est
encore — parfois sur le mode parodique — un
pamphlet
politique, une encyclopédie, l'ébauche
d'une anthologie. Guillermo Cabrera Infante y brasse l'histoire et la
géographie, la sociologie, d'innombrables
références littéraires et
cinématographiques : « pas moins
de deux cent
dix films [y] sont passés en revue » 2.
L'histoire
commence à Cuba avec un certain Rodrigo de Xeres que
Colomb envoie à terre chercher de l'or :
« de
Xeres ne revint pas avec des pépites, mais avec une nouvelle
vraiment nouvelle : il avait trouvé à
terre des
hommes cheminée. Colomb en fut contrarié.
(…) Mais
de Xeres expliqua, fort sobrement, que les sauvages qu'il avait
observés rejetaient réellement
de
la fumée. Comme des cheminées. Partout
où ils
allaient, ils avaient sur eux un tuyau marron brûlant
à un
bout » 3.
Dans la suite interviennent Groucho Marx et Fidel
Castro, Henry James
et Gaston Bachelard, Winston Churchill et Cecil B. De Mille, Othello et
la fiancée de Frankenstein, Ava Gardner et Carmen. Cuba, son
histoire et sa mythologie occupent une place de choix dans cette somme,
mais l'auteur se veut plus rigoureux que chauvin ;
à la
question « Rouler le tabac est-il un art
cubain ? » il répond
« J'ai des
raisons d'en douter. Les cigares peuvent être
roulés
presque dans n'importe quel endroit par presque n'importe qui. Les
Canariens le font, les Javanais aussi et les Philippins. C'est, alors,
un art des îles » 4.
1. |
Patrick Amine |
2. |
Introduction,
p. II |
3. |
« Holy smoke »,
pp. 24-25 |
4. |
« Holy
smoke », p. 70 |
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EXTRAIT |
Une
fois découvert et son seul usage étant connu, il
n'est
pas possible d'imaginer l'homme moderne (pas plus que la femme) sans
tabac. C'est assez ironique qu'aucune reconstruction
générale de la vie civilisée ne puisse
pas
même s'opérer sans tabac. Il en était
déjà ainsi en Angleterre au XVIIIe
siècle. C'était bien le dilemme de Robinson
Crusoé 1
après le naufrage de son bateau. Une fois le rivage atteint,
il
recréa autant de traits de la civilisation qu'il put en
utilisant les matériaux qui lui tombèrent sous la
main ou
en sauvant des restes du naufrage.
Mais
dès
qu'il observa le terrain, « il trouva une grande
quantité de tabac vert poussant sur des tiges grandes et
robustes ». Cette découverte est
surprenante à
double titre : pour le naufragé et pour le lecteur.
Comment
un habitant de la ville pouvait-il reconnaître si rapidement
une
herbe qu'il n'avait vue qu'à l'état de
résultat ou
en feuilles séchées couleur marron ? Et
pas
seulement cela. Il trouve d'autres plantes dont « il
n'avait
aucune sorte de connaissance bien qu'elles aient peut-être
leurs
propres vertus » — et il décide
en
conséquence de les oublier. Alors que, d'après ce
que
l'on sait, ce pouvait être des patates, des tomates ou toute
autre espèce de légumes comestibles et nutritifs.
Juste
après avoir récolté la fibre de tabac,
Robinson
sent un désir irrépressif de fumer. Il avoue
alors :
« La seconde chose que j'aurais
désirée de bon
gré était une pipe de tabac. »
Il est clair
que le naufragé voulait fumer : cet homme est un
gentleman
et c'est là son seul vice reconstitué. Mais fumer
lui est
impossible : il a besoin d'une pipe. Il aurait pu
réinventer le cigare là même, mais
comme c'est un
Anglais du XVIIIe
siècle, il se doit de fumer la pipe. De même que
la
confiture précède le cochon, l'histoire vient
avant la
nature.
Un Anglais
est un
Anglais même dans une île déserte et
Robinson
emploie son considérable génie à
fabriquer un
engin très anglais et d'usage quotidien.
☐
pp. 190-191
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Holy
smoke », New York : Harper and Row, 1985
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- « Dans la paix comme dans la
guerre », Paris : Gallimard (La
Croix du Sud), 1962 ; Gallimard
(L'Étrangère), 1998
- « Trois
tristes tigres », Paris : Gallimard,
1970 ; Gallimard (L'Imaginaire, 213), 1989
- « Orbis
oscillantis », Paris : Flammarion, 1980
- « Coupable d'avoir
dansé le cha-cha-cha »,
Paris : Gallimard, 1999 ; Gallimard (Folio, 5417),
2012
- « La Havane pour un Infante
défunt », Paris :
Seuil, 1985 ; Seuil (Points, 599), 1999
- « Premières
lueurs du jour sous les tropiques »,
Paris : Mille et une nuits, 2003
- « Le miroir qui parle,
nouvelles presque complètes »,
Paris : Gallimard, 2003
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mise-à-jour : 29
novembre 2007 |

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