533, le
livre des jours / Cees Nooteboom ; traduit du néerlandais
par Philippe Noble. - Arles : Actes sud, 2019. -
246 p. ; 22 cm. ISBN 978-2-330-12068-9
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| … passer un long été sur une île vous donne aussi tout le loisir, loin de l'actualité nationale, de vous retrancher et de vivre avec les livres et la musique, avec les paysages terriens et les marins de cette île.
☐ p. 133 |
Cees
Nooteboom possède une maison et un jardin sur l'île de
Minorque ; il y séjourne plusieurs mois chaque année.
C'est l'occasion d'une écoute renouvelée du
“ bruit de fond de l'existence ”, enrichi de
voix hier oubliées ou négligées — les
voisins bien sûr, mais également le cactus et ses fleurs,
un groupe de chevaux, le vent, une araignée, l'âne qui
exprime
“ toute la douleur du monde ou l'extase de sa
joie ”, Orion et ses étoiles qui “ font
des trous dans les ténèbres ”, …
533, le livre des jours recueille
les éclats chatoyants d'un dialogue qui se cherche :
“ je vois, de l'autre côté du mur, debout au milieu
de son champ pelé, l'âne qui me regarde. (…) Sous
la contrainte de ce regard, je m'arrête, et lui non plus ne bouge
pas, il reste figé, et regarde ”.
En
empruntant ces détours, Cees Nooteboom ne tente aucune esquive ;
et s'il cherchait une improbable évasion, les voix de
l'île se chargeraient de le ramener à lui-même et au
monde d'où il vient, comme les mouettes — ou les
sorcières de Macbeth — croisées au hasard d'un sentier côtier.
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→ Florence Noiville, “ Cees Nooteboom, un humaniste de la renaissance au siècle de l'IA ”, Le Monde, 9 juin 2019 [en ligne] → Natalie Levisales, “ Il y a des cactus ”, En attendant Nadeau, 15 juillet 2019 [en ligne] |
EXTRAIT |
Une
promenade au nord de l’île, région sauvage et
rocheuse. Il y a un étroit sentier vieux de mille ans, dit-on,
qui longe la côte et se calque sur la forme de l’île.
On l’appelle le chemin des Chevaux, “ Camí de Cavalls ”.
Le soir commençait à tomber. (…) Autour de moi,
des chardons qui m’arrivent à la taille, avec leurs fleurs
de fer rouillé. Au loin, un groupe de chevaux, cinq ou
six, avec un poulain. Ils ont levé la tête, ils
m’ont déjà entendu, je suis le seul homme ici. Ils
ne bougent pas d’un pouce, moi non plus, nous nous regardons, je
suis leur événement, eux sont le mien. Ensemble nous
entendons monter le bruit du ressac. Il y a peut-être quelque
part des chèvres ou des moutons, en ramassant les pierres
qu’on trouve ici partout, les gens ont fait de curieux
édicules ronds avec une ouverture basse où les
bêtes peuvent se réfugier en cas d’orage et lorsque
la tempête parcourt les terres. On dirait les vestiges
d’une civilisation disparue. Et puis j’entends les
mouettes. Il y a beaucoup de variétés de mouettes, celles
d’ici parlent une autre langue que leurs congénères
au bord de mon canal à Amsterdam. Tantôt leur cri
ressemble au pleurnichement d’enfants, à un gloussement
obscène, tantôt on dirait qu’elles pouffent pour se
moquer de quelqu’un, tantôt encore qu’elles ricanent
en hennissant comme des vieux bonshommes ou qu’elles clament les
prophéties des sorcières de Macbeth.
Je m’arrête et j’écoute, et sans transition je
pense à mon père, mort depuis soixante-dix ans.
☐ pp. 30-31 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « 533, een dagenboek », Amsterdam : De
Bezige bij, 2016
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mise-à-jour : 3 juin 2022 |
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