Le mythe
océanien : histoire et légendes de la
vahiné
/ Teva Sylvain ; préface de Daniel Pardon. -
Papeete :
Pacific promotion Tahiti, 2005. - 192 p. :
ill. ;
32 cm.
ISBN
2-911228-25-1
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Elle
est bien subtile, très savante dans sa
naïveté,
l'Ève tahitienne. L'énigme
réfugiée au fond
de leurs yeux d'enfants me reste incommunicable.
☐
Paul
Gauguin, Diverses
choses, in Oviri (pp.
169-170) |
Navigateur
de la première expédition européenne
à
aborder aux îles Marquises, en 1595, Pedro Fernandez de
Quirós note le charme des îliennes : “ beaucoup d'entre elles sont plus jolies que les
femmes de
Lima, pourtant réputées pour leur
beauté ”. Mais il faut encore attendre
deux
siècles et le retour des expéditions anglaises
(Wallis,
Cook, Bligh) et française (Bougainville) pour que l'image de
la vahine s'impose
dans l'imaginaire européen.
Par le texte et par l'image, le livre de Teva
Sylvain retrace
l'histoire d'une fascination puissante et durable, mais
profondément ambigue. Dès les
premières
représentations, celles qui ornaient les relations de
voyage, la vahine combine
selon des proportions variables des traits empruntés
à
une vision attendue avec ceux qui s'offraient au regard. Certes cette vahine, comme plus
généralement la fille des mers du Sud, est
nue, son teint évoque l'or et elle est parée
d'une
profuse chevelure tirant sur le noir ; mais, une fois ces
poncifs
respectés, les traits sont modelés pour
répondre
aux attentes et aux goûts de l'occident, comme si un calcul
rigoureux présidait à la
représentation : un
peu d'étrangeté attise le désir, un
excès
pourrait le refroidir 1.
“ Le mythe
océanien : histoire et
légendes de la vahine ” illustre
à foison la
vitalité d'une création qui doit donc moins au
modèle qu'au dessinateur, au peintre ou au photographe
— ou au public que visaient ces derniers. Au fil du
temps la
représentation évolue sans que, pour autant,
l'écart se comble. Au terme du parcours il paraît
même qu'un archétype soit
définitivement
figé. Seul Gauguin, au tournant des XIXe
et XXe
siècles, semble avoir pris la mesure du
défi ; le
regard du peintre s'approche alors au plus près de la vie
propre
du modèle et de son mystère, cette énigme (…)
reste incommunicable.
Situé
dans son contexte historique et
brièvement commenté, l'album trouve un utile
complément dans un florilège de textes
signés
Cook, Banks, Bougainville, Commerson, Bligh, Morrison, Radiguet, Dumont
d'Urville, Adams, Loti, Segalen, … Il est
remarquable que,
tout
comme Quiros, beaucoup d'entre eux s'en tiennent à comparer
la vahine aux
canons de la beauté occidentale — aveu
d'impuissance face
à la promesse, et au risque, d'une rencontre ?
❙
Photographe comme son père Adolphe
(né à Paris, arrivé sur
l'île en 1946), Teva Sylvain est né à
Tahiti en 1954.
1. |
Le cinéma hollywoodien en était
conscient ; la vogue des
films exploitant l'attrait du Pacifique insulaire a vu briller des
actrices telles que Dolores del Rio, Raquel Torres ou Movida Castenada
(Mexique), María Montez (République dominicaine),
Dorothy
Lamour (Etats-Unis), Reiko Sato (Japon) … — cf. Marc E. Louvat, Petite histoire du cinéma en Polynésie française (2016). |
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EXTRAITS |
Les
Européennes ne les surpassent que pour le teint. Pour tout
le reste, les Tahitiennes sont supérieures.
☐
Joseph
Banks, cité p. 131
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Quelles
femmes, me demanderez-vous ? Les rivales des
Géorgiennes en beauté, et les sœurs des
Grâces, toutes nues.
☐
Philibert
Commerson, cité p. 133
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Les femmes
d'Otahiti sont belles, douces, agréables dans leurs
manières ; leur conversation est
enjouée, elles ont
beaucoup de sensibilité ; et leur
délicatesse est
bien capable d'inspirer pour elles des sentiments d'admiration et
d'amour.
☐
William
Bligh, cité p. 143
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Bien
sûr, tout le monde sait que les femmes tahitiennes sont tout
à fait dégagées de toute
idée de
chasteté, et de tous temps, elles ont eu de grands charmes
pour
les marins étrangers. Pour des hommes de notre
âge, et
avec nos goûts, le danger n'est pas terrifiant.
Jusqu'à
présent, ma moralité n'a pas le moins du monde
été mise en danger dans les mers du Sud, pas
même
aux Samoa, où nous avons vécu dans
l'intimité
d'une foule de filles qui avaient un corps splendide, et pas d'autre
vêtements qu'une bande de tissus à la taille et
des
guirlandes.
Nul doute
que nos cinquante années d'âge n'aient
été pour quelque chose dans notre
indifférence,
mais même à vingt ans, je pense que j'aurais
cherché quelque chose de plus ou de moins que ce que les
femmes
polynésiennes ont à offrir.
☐
Henry
Adams, cité p. 165
|
La femme
possède, avant toute autre
qualité de l'homme jeune, un bel
élancé adolescent qu'elle maintient
jusqu'au bord de la vieillesse.
☐
Victor
Segalen, cité p. 173
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Adolphe
Sylvain, « Nus de Tahiti » préface de
Bengt Danielsson, Paris : Prisma, 1963
- Adolphe
Sylvain, « Sylvain Tahiti »
édité par Jean
Lacouture et Gian Paolo Barbieri, Köln : Taschen, 2001
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- Roger
Boulay, « Kannibals
et Vahinés : imagerie des mers du Sud »,
La Tour d'Aigues : Ed. de l'Aube, 2000
- Roger
Boulay, « Hula
hula, pilou pilou, cannibales et vahinés »,
Paris : Ed. du Chêne, 2005
- Patrick
Cerf, « La
domination des femmes à Tahiti : des violences
envers les femmes au discours du matriarcat »,
Papeete : Au Vent des îles, 2007
- Serge
Tcherkézoff, « Tahiti-1768 : Jeunes
filles en pleurs, la face cachée des premiers contacts et la
naissance du mythe occidental »,
Papeete : Au Vent des îles, 2004
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mise-à-jour : 26 mai 2021 |
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