Tahiti-1768, jeunes filles en
pleurs : la face cachée des premiers contacts et la
naissance du mythe occidental / Serge Tcherkézoff. -
Papeete : Au Vent des îles, 2004. -
531 p. ; 23 cm. - (Culture
océanienne).
ISBN 2-909790-29-0
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : Lors de la “ découverte ” de Tahiti, les récits officiels
des voyageurs (Wallis, Bougainville, Cook, Bligh, …)
inventèrent une société où les jeunes
femmes auraient eu pour règle de pratiquer
“ l’amour libre ” et même de le faire
“ en public ”. Ce discours fut un point de vue
masculin centré sur l’Europe, dissertant sur les
variétés humaines et les couleurs de peau, mais aussi sur
la supposée nature universelle des femmes.
En retournant
au texte original des journaux de bord, on entrevoit la face
demeurée cachée de ce que furent les premiers contacts
entre les Tahitiens et les Européens. Les
“ femmes ” qui vinrent au devant des visiteurs
étaient de très jeunes filles ; loin de sourire,
elles tremblaient de peur, puis jouaient en pleurant un rôle
imposé par les adultes. “ L’amour ”
n’avait rien à faire dans ces scènes. Et les danses
présentées n’avaient rien d’érotique.
Les récits européens n’ont pas seulement
exagéré, ils ont tout déformé. Depuis deux
siècles, la vision européenne de la Polynésie
“ traditionnelle ” repose sur une immense
méprise.
Ce livre restitue ce qui s’est
réellement passé sur les rivages de Tahiti. Il reprend
aussi tout le dossier des interprétations concernant les
postures et la “ nudité ” dans la danse
polynésienne, ainsi que le malentendu occidental sur la place de
la “ sexualité ” dans la culture des
îles du Pacifique (Margaret Mead, …). Mais comment a-t-on
pu se tromper à ce point ? ❙ | Serge
Tcherkézoff est directeur d’études à
l’EHESS. Il est membre fondateur et a été directeur
du CREDO (Centre de recherche et de documentation sur
l’Océanie). Il est également Adjunct Professor of
Anthropology and Pacific Studies à Canterbury University, en
Nouvelle-Zélande et a été lauréat du
Australian Research Council en 2005. Ses travaux rassemblent les
résultats de ses enquêtes de terrain en Polynésie
occidentale durant les années 1981–1996 et une critique
ethno-historique des récits européens (XVIe-XXe
siècles) concernant la Polynésie (surtout Samoa et
Tahiti). |
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AGENCE TAHITI PRESSE :
Serge Tcherkézoff a présenté,
mercredi, son livre Tahiti 1768, jeunes filles en
pleurs. Cet ouvrage met à mal le mythe
de l'amour libre en Polynésie à
l'époque des premiers contacts avec les occidentaux.
Selon Serge
Tcherkézoff, les récits des premiers
découvreurs ont inventé une
société où les jeunes vahine
auraient eu pour règle de pratiquer l'amour libre allant
même jusqu'à le pratiquer en public. D'après l'auteur,
si l'on s'en tient à la lecture des journaux de bord
originaux des capitaines de navires (NDLR : beaucoup ont pu
être réécrits avant d'être
présenté aux rois), on devine ce qu'ont
été vraiment les premiers contacts entre les
Tahitiens et les Européens. Les vahine
venant au devant des visiteurs étaient en fait de
très jeunes filles qui, loin de sourire, tremblaient de
peur. Elles étaient envoyées par les adultes qui
pensaient ainsi, récupérer un peu de mana
(pouvoir), auprès de ces puissants visiteurs.
L'origine du malentendu
Le malentendu, selon l'auteur, proviendrait du fait que Wallis
— qui a découvert Tahiti en 1767 — lors
de son séjour a fait donner du canon contre les pirogues
tahitiennes et, cela, Bougainville arrivé un an plus tard,
l'ignorait. Lorsque les Tahitiens ont offert des jeunes filles
à celui-ci, c'était sûrement par
crainte, mais aussi dans l'espoir secret que de ces accouplements
naîtrait une progéniture ayant acquis le pouvoir
de ces étranges visiteurs. Bougainville crut y voir une
manifestation de l'amour libre, tels que les Tahitiens devaient le
pratiquer : “ Chaque jour nos gens se
promenaient dans le pays, on les invitait à entrer dans les
maisons et on leur offrait des jeunes filles ”.
Une immense méprise
Hawkesworth, à qui on avait confié la
réécriture des carnets de bord de Wallis et de
Cook, avait ainsi lu la traduction anglaise du voyage de Bougainville
sortie un an auparavant en Angleterre. Influencé, il a,
consciemment ou non, remodelé les récits de
Wallis et Cook afin de les faire coller aux descriptions de
Bougainville, ce qui a fait dire à Voltaire : “ Si Anglais et Français, qui sont
toujours en désaccord, s'accordent entre eux sur un point,
c'est que cela ne peut être que la
vérité ”.
Serge Tcherkézoff,
tout au long de son livre, démontre que les
récits européens n'ont pas seulement
exagéré. Selon lui, ils ont tout
déformé et, depuis deux siècles, la
vision européenne de la Polynésie traditionnelle
en ce qui concerne la liberté sexuelle repose sur une
immense méprise.
☐ PB
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SOMMAIRE (résumé) |
Introduction Le passage de Vénus ou la naissance du mythe occidental de la “ sexualité polynésienne ”
- Les vahinés “ blanches ” : une longue histoire (1595-1928)
- En remontant des écrits officiels aux journaux de bord
- L'invention savante naturaliste et l’invention masculine sexiste
- Les Tahitiens et les autres. Racisme et couleurs de peau dans les modèles européens
- Le mythe occidental et son développement (XVIIIe-XIXe siècles)
- Le renouveau du mythe occidental au XXe siècle, de 1928 à nos jours : l’influence de Margaret Mead
Première partie L'invention de la Polynésie géographique et raciale
- Chapitre 1 — Une vue historique sur les voyages d'exploration dans le Pacifique
- Chapitre
2 — Le XVIIIe siècle : l'invention du nom
“ Polynésie ” et les
“ variétés ” humaines
- Chapitre
3 — Le XIXe siècle : l'invention du nom
“ Mélanésie ” . Des
variétés humaines au racisme
Deuxième partie Les Français à Tahiti : les rumeurs et les faits. L'invention de la Polynésie de “ l'amour-libre ”. La rencontre avec “ Vénus ” et “ Hélène ”
- Chapitre 4 — Voyages, écrits et récits. Présentation chronologique
- Chapitre
5 — L’enthousiasme de Bougainville et de ses
compagnons pour la “ Nouvelle-Cythère ”.
L'offrande sexuelle de jeunes filles et l'illusion de l'amour
“ en public ”
- Chapitre
6 — 7 avril 1768 : la rencontre avec
“ Hélène ”. Les faits
derrière les rumeurs : “ L'opération finie, la
fille pleurait … ” Première
hypothèse générale sur la face cachée des
premiers contacts dans toute la Polynésie
- Chapitre
7 — Le malentendu sexiste et racial : le
“ désir ” imputé aux
vahinés et la “ blancheur ” de leur
peau.
Troisième partie Les Anglais à Tahiti : les rumeurs et les faits. L'invention de la Polynésie “ indécente ” et de ses danses “ lascives ”. Pointe Vénus, la danse “ timorodee ” et les Arioi
- Chapitre
8 — Les femmes “ lascives ” et la
danse “ indécente ” à
Otahitee. La compétition éditoriale à Londres
(1771-1773) et la vision masculine de la
“ lubricité ”
- Chapitre
9 — La scène de la Pointe Vénus et
l’illusion de l'amour “ en public ” :
les faits derrière les rumeurs. L’enracinement
définitif du mythe occidental en 1775 : de Hawkesworth
à Voltaire
Quatrième partie La danse polynésienne, du mythe à la réalité (les Anglais à Tahiti, suite)
- Chapitre 10 — Retour aux journaux. Quelle “ indécence ” de la danse timorodee ? Quel “ public ” pour l'amour ? L’absence de témoignages sur les Arioi
- Chapitre 11 — Le malentendu des postures et de la nudité dans les danses (Tahiti, Samoa)
- Chapitre
12 — Pourquoi se dénuder (hommes et
femmes) ? La compétition par les clowneries sexuelles et le
système hiérarchique du dévoilement du corps
- Chapitre 13 — La mise à nu et le cadeau de tissu consacré
Cinquième partie Une hypothèse sur le point de vue polynésien dans les premiers contacts. Le malentendu occidental sur la “ sexualité polynésienne ”
- Chapitre 14 — Un bilan du dossier occidental : le jugement de Morrison
- Chapitre
15 — Une hypothèse générale sur
les présentations sexuelles et dénudées lors des
premiers contacts
- Chapitre
16 — La suite de l’histoire du mythe occidental,
du XVIIIe siècle au XXe siècle : Samoa, Tahiti de E.
Handy à D. Oliver
- Chapitre 17 — Le malentendu culturel de la sexualité
Épilogue (1968-1997) Les sociétés savantes, la littérature populaire et la télévision
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Tahiti-1768, jeunes filles en
pleurs : la face cachée des premiers contacts et la
naissance du mythe occidental », Papeete :
Au Vent des îles, 2010
|
- Serge
Tcherkézoff et Françoise Douaire-Marsaudon
(éd.), « Le Pacifique-sud
aujourd'hui : identités et transformations
culturelles », Paris : CNRS (Ethnologie),
1997 ; « The changing South
Pacific : identities
and transformations » translated by Nora Scott,
Canberra : Pandanus books, 2005
- Serge
Tcherkézoff, « Le mythe occidental de la
sexualité polynésienne : Margaret Mead,
Derek
Freeman et Samoa, 1928-1999 »,
Paris : Presses
Universitaires de France, 2001
- Serge
Tcherkézoff, « Faa-Samoa, une
identité
polynésienne : économie, politique,
sexualité : l'anthropologie comme dialogue
culturel », Paris : L'Harmattan, 2003
- Serge
Tcherkézoff, « First
contacts in Polynesia, the Samoan case, 1722-1848 : western
misunderstandings about sexuality and diversity »,
Canberra : Australian National University, 2008
- Serge
Tcherkézoff,
« Polynésie-Mélanésie :
l'invention française des " races " et
des régions de l'Océanie (XVIe-XXe
siècles) », Papeete : Au Vent
des îles (Culture
océanienne), 2009
- Serge
Tcherkézoff, « Mauss à
Samoa : le holisme
sociologique et l'esprit du don
polynésien »,
Marseille : pacific-credo Publications, 2016
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mise-à-jour : 26 mai 2021 |
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