Enfants
du malheur ! les bagnes d'enfants / Henri Danjou. -
Paris :
La Manufacture de livres, 2012. - 200 p. ;
23 cm.
ISBN
978-2-35887-037-5
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Il
avait dit : j'en ai marre des maisons de correction.
Et les gardiens à coups de clés lui avaient
brisé les dents.
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le
ciment …
☐ Jacques
Prévert, La Chasse à
l’enfant |
NOTE
DE L'ÉDITEUR
: Jacques Prévert s'était
inspiré d'une triste
réalité : le témoignage
d'Henri Danjou 1 sur
les colonies pénitentiaires réservées
aux enfants
publié en 1932. La discipline y était
draconienne. Le
silence absolu obligatoire. Henri Danjou, écrivain reporter,
retrace l'histoire de lieux maudits nommés colonies
pénitentiaires, maisons de redressement, maisons de
correction.
A la colonie du Luc (Gard), à celles de la Loge (Cher), du
Mont
Saint-Michel (Manche), d'Aniane (Hérault),
Belle-Île-en-Mer, Cadillac (Gironde), Doullens (Somme),
Chanteloup (Maine-et-Loir), Mettray (Indre-et-Loire), partout la
même férocité, quel que soit
l'époque ou le
régime. Les premières maisons
d'incarcération du
XVIIIe
siècle offraient un cadre qui dépasse
l'imagination. Si
l'amputation de la main pour les parricides fut abolie en 1832, la
liste des supplices restait longue. Qui punit-on dans ces
établissements ? Des mineurs coupables de vols,
souvent des
vols alimentaires ou se livrant à la prostitution. Ceux que
les
pouvoirs appellent les « classes
dangereuses ».
Les vagabonds et tous ceux qui échappent au
contrôle des
familles, des patrons et du clergé sont dans le collimateur.
Ils
ne sont pas les seuls. Orphelins, pauvres, chapardeurs : dans
l'esprit du législateur, si ces gamins ne sont pas encore
délinquants, ils le deviendront un jour ou l'autre.
De
la promiscuité enfants/adultes où
prospèrent
toutes sortes de crimes aux règlements monstrueux
calqués
sur la barbarie militaire, en passant par le sadisme des
geôliers, le travail forcé, les oubliettes, les
maladies
et autres horreurs, les monstruosités sont toujours
justifiées au nom de la morale républicaine ou de
la
religion : la rédemption par la punition. La
logique de la
répression et de l'enfermement a tellement
été
contreproductive, et dénoncée par quelques
esprits
éclairés, que l'évidence de la
prévention
et de l'éducatif s'est enfin, peu à peu,
imposée
à la République. Ce témoignage d'abord
publié sous forme de feuilleton dans Détective 2 dans les années 30
est d'une écriture très
actuelle. A l'heure où la question sécuritaire
revient au
galop dans les discours, il n'est pas inutile de se souvenir des heures
sombres des dogmatismes moraux et religieux qui bâtirent les
tragiques bagnes d'enfants.
1. |
« Henri
Danjou (…) est un journaliste de l'école d'Albert
Londres
(…) qui préconisait l'immersion totale dans le
sujet, et
une écriture littéraire et
novatrice. »
— Michel Amelin, extrait d'une note de lecture du
recueil
d'Henri Danjou, sur le site k-libre. |
2. |
« Le magazine Détective, créé
au départ par Gaston Gallimard, avec les frères
Kessel
aux manettes, avait de grandes ambitions sociales dont la fermeture des
bagnes. Le travail d'Henri Danjou s'inscrit dans cette
politique. » — ibid . |
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Dans
une colonie située en pleine mer
Loin du continent et de ma vieille mère
…
☐ p. 102 |
Aux
lecteurs d'aujourd'hui, la réédition de
l'enquête
menée par Henri Danjou [1898-1954] rappelle que les colonies
pénitentiaires pour enfants étaient nombreuses
à
l'époque (entre les deux guerres) ; que les motifs
qui y
conduisaient étaient beaucoup trop souvent
iniques ;
qu'elles se signalaient par l'impitoyable dureté de la
discipline et des châtiments ; et qu'elles
soulevaient peu
d'opposition dans l'opinion.
Belle-Île
était loin
de constituer une exception, mais devait sa réputation
à
l'insularité qui accentuait l'isolement et rendait les
tentatives d'évasion particulièrement
difficiles :
le chapitre cinq du recueil est intitulé Belle-Île-en-Mer,
l'île des évasions impossibles.
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EXTRAIT |
— Tu viens de
Belle-Île ?
— On
m'y a vu figurer pendant seize mois au tableau d'honneur,
malgré
les « gaffes ». Savez-vous ce que
le
« gaffe » en chef nous disait
pour nous
consoler ? «
Vous avez
vos cartes en mains. Ou vous vous comporterez bien et je serai bon pour
vous, ou vous saurez ce qu'il en retourne. À vous de plier
ou de
casser. Celui qui ne pliera pas, je le casserai ». Il
nous désignait la mer. « On
ne s'évade d'ici que par le fond de l'eau, ou le fond de la
terre. Avis aux Incos. Il y a toujours des menuisiers pour construire
les quatre planches d'un cercueil. Le pain sec et le cachot auront
raison des fortes têtes. Que ceux qui ne veulent pas voir le
jour
à travers leurs mains se tiennent
tranquilles ! » Pourtant j'ai
pu éviter,
pendant quatre cent quatre-vingt-sept jours, l'équipe de
punition et la prison …
Marcel aspira une gorgée d'air.
— Mais je fis une faute. On m'avait
donné
l'espoir d'une libération prochaine. Je
l'annonçai
à l'atelier. Comme un gosse, en criant, en faisant des
farces … A
troublé l'atelier par du bruit. Ce
fut le motif. Trente jours de prison, dont quinze au pain sec. Je
perdis tout droit à la grâce. Un
« gaffe » s'était
vengé de
moi …
« On laisse aller la barque,
jusqu'au jour
où l'on saute par-dessus bord. J'ai attendu l'occasion
pendant
une année. Je l'ai enfin trouvée en vue de
Lorient
où le voilier des colons, l'Araück, conduisait
un engagé à terre. Un gardien nous surveillait.
Nous
étions trois, moi, le gabier Roger, Fernand le timonier.
Voici
comment cela se passa. Roger et Fernand on plaqué un
mouchoir
sur la bouche du surveillant, tandis que je lui ai attaché
les
pieds. On l'a transporté sur son hamac, sans lui faire de
mal.
Et le canot de sauvetage nous transporta à terre.
« Fallait-il être un
gosse ! Nous avions
conservé notre livrée. Nous n'avions pas un sou
en poche.
On nous a arrêtés le jour même. Voie
de fait à l'égard d'un fonctionnaire :
cela
méritait la prison. On nous y a laissés quatre
mois.
« Pourquoi ne pas nous y avoir
gardés
toujours ! Je l'ai dit au juges. Ils n'ont pas voulu me
croire. Je
préférerais passer ma vie en prison,
plutôt que
d'être ici, enfermé. Les juges n'ont pas de
cœur.
Ils m'ont envoyé à Eysses au quartier des
Assassins … »
Ainsi parla Marcel.
☐ pp. 44-45 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Enfants
du malheur ! les bagnes d'enfants »,
Paris : Albin Michel, 1932
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mise-à-jour : 2
septembre 2014 |
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