La
rébellion de Kronstadt 1921 / Alexandre Berkman ;
suivi de
textes d'Emma Goldman, Voline et Victor Serge ;
présentation de Sylvain Boulouque. - Baye : La
Digitale,
2007. - 163 p. : carte ; 22 cm.
ISBN
978-2-903383-79-4
|
En
mars 1921, alors que la Russie peinait à se remettre des
séquelles conjuguées de la Révolution
et de la
Grande Guerre, les marins du port militaire de Kronstadt, sur
l'île de Kotline au large de Petrograd (Saint Petersbourg),
se
rebellent contre l'autorité communiste, affirment leur
solidarité avec les ouvriers de Petrograd et exigent que le
pouvoir soit effectivement exercé par des soviets libres, c'est-à-dire
indépendants du parti communiste et de sa bureaucratie. Dans
l'esprit des marins de Kronstadt et de tous ceux qui se sont
ralliés à leurs vues, c'est une
troisième et,
pensent-ils, ultime Révolution qui est en gestation, un
chemin
qui s'ouvre vers la liberté, la fraternité et la
paix. En
face, cette aspiration utopique est tenue pour une mutinerie.
L'aura
des protagonistes qui se font face porte l'affrontement à un
haut niveau d'incandescence. Léon Trotsky incarne l'ordre
ancien
contesté, et les termes qu'il adresse aux rebelles sont
directs : « je vous tuerai par balles comme
des
faisans » ; mais ceux qu'il vise sans
ménagement
sont des héros, les marins du Petropavlovsk et
du Sevastopol,
soutiens déterminants
des bolcheviks en 1917, « la gloire et l'orgueil de la
Révolution russe » pour reprendre les termes de
Trotsky
lui-même. C'est un combat sans merci qui se
prépare.
Le dénouement est
bref et brutal.
L'île de Kotline où sont cantonnés les
rebelles
occupe une positon stratégique de premier plan dans le
dispositif stratégique de défense de Petrograd,
mais ses
ressources offensives et défensives sont exclusivement
tournées vers l'ouest en prévision d'une attaque
extérieure menée par la mer. Trotsky mobilise des
troupes
d'élite qui attaquent depuis le nord et le sud les
côtes
non protégées de l'île. Les
hostilités sont
ouvertes le 7 mars ; les dernières défenses
tombent le 18
mars et les massacre peuvent commencer (plusieurs milliers de victimes).
À
la suite du témoignage d'Alexandre Berkman sont
réunis
plusieurs textes contemporains ou postérieurs qui donnent la
mesure du choc soulevé par
l'évènement, et de son
influence durable sur l'histoire de la Russie soviétique.
❙ |
Le
récit d'Alexandre Berkman (1870-1936) est celui d'un
contemporain engagé, acteur intransigeant de la mouvance
libertaire et anarchiste ; la rébellion de
Kronstatdt et sa
répression exercèrent une influence
déterminante
sur sa vision de la Révolution russe. |
|
EXTRAIT |
Kronstadt, héroïque et
généreuse,
rêvait de libérer la Russie grâce
à une
Troisième révolution qu'elle se sentait
fière
d'avoir amorcée. Elle ne formulait pas de programme
défini. Ses slogans étaient la liberté
et la
fraternité universelle. Elle considérait la
Troisième révolution comme étant un
procédé conduisant graduellement à
l'émancipation, le premier pas dans cette direction
consistant
en une élection libre pour des soviets
indépendants, sans
contrôle d'aucun parti politique, et représentant
l'expression de la volonté et des
intérêts du
peuple. Les marins proclamaient à tous les ouvriers du monde
leur grand idéal, sans réserve et d'une
manière
naturelle, et appelaient le prolétariat à joindre
ses
forces dans la lutte commune, confiants que leur cause trouverait un
soutien passionné, et qu'en tout premier lieu, les ouvriers
de
Petrograd s'empresseraient de leur venir en aide.
Entre temps Trotsky avait rassemblé ses forces.
Les
divisions les plus dignes de confiance en provenance des fronts, des
régiments kursanti
[élèves
officiers], des détachements de la Tchéka et des
unités militaires formées exclusivement de
communistes
étaient rassemblés maintenant dans les forts de
Sestroretsk, Lissy Noss, Krasnaïa Gorka et dans les endroits
fortifiés environnants. Les plus illustres experts
militaires
russes furent expédiés sur place pour
préparer les
plans relatifs au blocus et à l'attaque de Kronstadt, et le
tristement célèbre Toukhachevski fut
nommé
commandant-en-chef pour le siège de Kronstadt.
Le 7 mars, à 18 h 45, les batteries
communistes de
Sestroretsk et de Lissy Noss tirèrent les premiers coups de
feu
contre Kronstadt.
C'était le jour
anniversaire de la Journée des femmes ouvrières.
Kronstadt, assiégée et attaquée,
n'oublia pas ce
grand jour férié. Sous le feu d'innombrables
batteries,
les vaillants marins envoyèrent leurs vœux par
radio aux
femmes ouvrières du monde, ce qui caractérisait
tout
à fait la psychologie de la cité rebelle. La
radio disait
:
« Aujourd'hui
est un jour férié universel, la
Journée des femmes
ouvrières. Au milieu du tonnerre des canons, nous envoyons
de
Kronstadt nos vœux fraternels aux femmes ouvrières
de
l'univers. Puissiez-vous bientôt vous libérer de
toute
forme de violence et d'oppression.
Longue vie aux femmes
ouvrières révolutionnaires !
Longue vie à la
Révolution sociale dans le monde
entier ! »
Le cri de Kronstadt qui fendait le
cœur : « Que
le monde entier le sache »,
publié après que le premier coup de feu ait
été tiré, dans le n° 6 d'Izvestia,
n'était pas moins caractéristique :
« Le
premier coup de feu a été
tiré …
Debout, le sang des ouvriers lui arrivant aux genoux, le
maréchal Trotsky fut le premier à ouvrir le feu
contre
Kronstadt la révolutionnaire qui s'est
élevée
contre l'autocratie des communistes pour établir le
véritable pouvoir des Soviets.
(…) »
☐ Alexandre Berkman, La
rébellion de Kronstadt (trad. Marianne Lehmann),
pp. 42-44 |
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Henri Arvon,
« La révolte de
Cronstadt », Bruxelles : Complexe (La Mémoire du siècle, 9), 1980
- Paul Avrich,
« La tragédie de Cronstadt,
1921 », Paris : Seuil (Points-Histoire, 18), 1975
- Janis
Bogdanow,
« Ceux de
Kronstadt », Paris : Gallimard, 1962
- Ante Ciliga,
« L'Insurrection de Cronstadt »,
Paris : Allia, 1983
- Georges
Fontenis
et Alexandre Skirda (éd.), « 1921,
l'insurrection de Cronstadt la rouge : le pouvoir des soviets
libres », Paris : Éd.
d'Alternative libertaire,
2002
- [Régis
Gayraud], « Kronstadt : Izvestia du Comité
révolutionnaire provisoire des matelots, soldats rouges et
ouvriers de la ville de Kronstadt » trad.
intégrale du texte russe par G.R., Les
Pavillons-sous-Bois : Ressouvenances (Les Réfractaires, 1),
1988, 2019
- Emma
Goldman, « L'agonie de la
révolution : mes deux
années en Russie, 1920-1921 »,
Paris : Les Nuits
rouges, 2017
- Emma
Goldman,
« Vivre ma vie : une anarchiste au temps
des
révolutions », Paris :
L'Echappée, 2018
- Jean-Jacques
Marie, « Cronstadt »,
Paris : Fayard, 2005
- Ida Mett,
« La
Commune de Cronstadt, crépuscule sanglant des
Soviets », Paris : R. Lefeuvre, 1977
- Alexandre
Skirda, « Kronstadt 1921 :
prolétariat contre
bolchévisme », Paris :
Éd. de la
Tête de feuilles, 1972 ; Paris : Ed. de
Paris-Max
Chaleil (Essais et documents), 2012 ; Paris :
Spartacus
(Série B, 195), 2017
- Efim
Yartchouk, « Kronstadt dans la Révolution
russe » textes choisis, présentés et traduits
par Alexandre Skirda, Paris : Noir et Rouge, 2018
|
|
|
mise-à-jour
: 27 janvier 2021 |
|
|
|